4 décembre 2006
Les chercheurs et les carottes vont t'ils bien ensemble ?
Dans mon mon dernier post sur le CNRS, j'ai fait explicitement référence à un blog consacré au management que je trouve intéressant: zone franche. L'auteur m'a gentillement signalé par un commentaire une des propositions du camarade Sarkozy qui vise à introduire une loi de la performance dans le service public (proposition 11 chapitre Service public). Evidemment, ce qui se profile derrière est une notion de salaire au mérite. Dans la même veine, un éditorial récent de Nature avance que des réformes analogues sont en cours au CNRS: Europe's largest basic research agency, which early next year will present a series of reforms, probably including higher salaries for researchers who score better on international performance indicators, and a focusing of resources on fewer areas of excellence.
Chacun s'accorde à dire qu'il est bon que l'on pense enfin à se doter de mécanismes permettant de récompenser les chercheurs ou plus généralement les fonctionnaires qui s'investissent le plus dans leur travail. Lors des Etats Généraux de 2004, un tel constat était absolument évident. Tellement évident même que le problème est de savoir comment faire.
Un des outils les plus communément avancés est la prime. Il s'agit d'un complément de rémunération, hors salaire, versé en récompense d'une réussite particulière. De nombreuses primes existent déjà dans l'enseignement supérieur et la recherche. Certaines sont systématiques comme la prime de recherche des chercheurs CNRS qui du fait de son caractère systématique et de la relative faiblesse de son montant (de l'ordre de 3 % de mon salaire annuel net), a perdu son caractére incitatif pour devenir un complément de salaire hors cotisation retraite.
D'autres ne le sont pas comme la prime d'encadrement doctoral et de recherche des universitaire, PEDR pour les intimes. Son montant n'est pas anectotique: elle équivaut pratiquement à 10 % d'un salaire annuel net. Elle n'est pas attribuée systématiquement: environ 10000 de ces PEDR sont disponibles pour 50000 enseignants-chercheurs.
L'INSERM va encore plus loin au travers de contrats d'interface destinés à des chercheurs titulaires et comprenant entre autre un complément de rémunération de 4000 à 6000 euros mensuels! En clair, de tels outils sont déjà expérimentés depuis quelques temps et leur cout annuel est loin d'être négligeable: de l'ordre de 40 M€ pour la PEDR et de l'ordre de 10-12 M€ pour les compléments de rémunération associés aux contrats d'interface INSERM (environ 250 personnes concernées). Il ne s'agit pas de fonds de tiroirs...
On peut donc légitimement se demander quelle est leur efficacité ou leur effet sur l'écosystème visé à savoir les chercheurs et enseignants-chercheurs. En clair, est ce que ces dispositifs ont effectivement eu les effets escomptés en terme de motivation des personnels au regard de la dépense qu'ils représentent ?
Le détail de l'attribution des PEDR fait partie des secrets bien gardés de la république. Mais depuis le temps qu'avec d'autres, j'essaye d'en savoir un peu plus, j'ai eu vent de dossiers mentionant des dizaines de thèses encadrées sur 4 ans (le record de 113 serait détenu par un spécialistes des langues anciennes) ce qui suggère qu'il est difficile de sensibiliser les gens à autre chose qu'un critère purement numérique...
Concernant les contrats d'interface, mes coups de sondes au sein de l'INSERM lors des Etats Généraux m'avaient laissé une impression assez défavorable:
"Octroyer à de futurs jeunes chefs d'équipe "d'excellence" qui répondent à des appels fléchés recherche clinique, un salaire égal à 1,5 fois celui d'un CR1, c'est assurément démotiver totalement tous les autres, et aboutir rapidement à ce que les chercheurs qui n'auront pas ces primes se calent en petite vitesse de croisière, en se disant qu'ils font bien assez de travail pour ce qu'ils sont payés! Car ne révons pas, ces primes ne vont pas faire progresser la qualité du travail: ce que je commence à voir dans mon entourage, c'est que ceux ont déja eu les contrats d'interface sont partis deux fois plus et plus loin en vacances. Mais rien de spécial de nouveau ne s'est passé dans leur labo, si ce n'est une habile construction de projets (sur le papier) pour justifier d'une collaboration avec la médecine."
Ah... il y a comme qui dirait un problème. Il semblerait que ca chie dans la colle.
Au delà du constat de base, si on décrypte le message ci dessus, deux éléments apparaissent nettement:
- La prime crée un effet d'aubaine qui fait que des projets ad hoc sont montés rapidement sans que cela corresponde très clairement à la réalité de leur activité, pour bénéficier du fric. La même chose semble se produire avec les ANR, parfois de manière assez cocasse. Ainsi plusieurs collègues membres de commissions de sélection des projets ANR m'ont confirmé que certains individus n'hésitent pas à se coller dans plusieurs projets dans chacun desquels ils sont censés donner 100 % de leur temps de recherche (soit il y a un problème soit les raéliens ont réussi le clonage humain...). Pas très sérieux quand même...
- La prime a pour effet de démotiver ceux qui dans l'entourage estiment effectuer un travail de qualité comparable mais sans bénéficier de la même reconnaissance financière.
- La prime n'améliore pas la productivité de l'individu de manière linéaire. Concrètement, si on paye deux fois plus un chercheur, on n'a aucune garantie qu'il travaillera deux fois plus longtemps (sauf s'il ne foutait vraiment pas grand chose avant), ni qu'il aura deux fois plus d'idées (même s'il ne foutait pas grand chose avant). Tout au plus peut on être sur qu'il s'achètera une voiture deux fois plus grosse, un appartement plus grand ou qu'il partira deux fois plus loin en vacances.
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