Persevere diabolicum...
Il y a quelques semaines, on me racontait comment dans une grande ville de France dirigée par un maire UMP se mettait en place une oligarchie de copains du Maire occupant les postes clé et s'arrosant copieusement de primes et d'avantages divers et variés.
Parrallèlement, je découvre dans le Monde un point de vue de délégués CFDT dénoncant la politisation des nominations des hauts fonctionnaires qui rejoint curieusement les interrogations que j'ai quant à la manière dont les choses évoluent dans mon propre milieu professionnel. La tendance est à la multiplication des structures et des barons et marquis qui vont avec, que l'on encourage à faire fonctionner ces structures moyennant des primes sans se poser la question si l'évolution globale du paysage sert vraiment à améliorer les choses.
Dans notre cas, il s'agirait de l'amélioration de la créativité des chercheurs tant au niveau individuel que collectif. Ainsi sur le papier, le financement exclusif sur projet est censé encourager l'innovation et stimuler la créativité et les primes diverses et variées motiver les troupes.
Mais une telle évolution qui nous est vendue comme un moyen de dynamiser les organisations risque en fait se produire les effets inverses. En effet, couplée au progrès des technologies de l'information, cette inflation des chefs va produire dans notre écosystème professionnel les mêmes phénomènes que dans les entreprises, à savoir une inflation des indicateurs et très probablement une montée de la pression - y compris subjective (c'est à dire ressentie)- s'exerçant sur les individus.
En quelques années, nous sommes passés d'un monde où l'on rendait compte de son activité au travers d'un compte rendu dont la forme était relativement ouverte à une évaluation au travers de fiches et dossiers très formattés et détaillés. Pour espérer une promotion il faut ainsi avoir toute une batterie de "sémaphores" dans la bonne configu ration mpris en terme de masse financière brassée (en gros il f aut avoir eu des "contrats" non pas parce que c'est nécessaire mais pour montrer qu'on a été capables d'en avoir).
En clair et comme l'a dit un jour très lucidement le directeur de mon labo: "Avant il fallait faire, maintenant il faut être, demain il faudra paraître".
Or comme le montre Gilles Martin dans son blog, un tel état d'esprit nuit fortement à la créativité et à l'innovation. En effet, des études récentes ont montré que dans les entreprises, ce qui diminue significativement l'innovativité des employés est leur peur du "risque d'image", en clair la peur que les autres, les collègues, les chefs, se moquent de vous, vous regardent défavorablement.
Beaucoup de mes collègues sont à titre personnel convaincus de la toxicité des évolutions en cours depuis quelques années. Et pourtant elles continuent même si, lorsque l'on analyse finement comment travaille tel ou tel partie du système, on voit transparaitre dans certains détails les traces des résistances individuelles visant à essayer de faire aller les choses dans une direction plus saine. Et pourtant, la pente ne semble pas s'inverser.
Je dois dire que j'ai fait ce constant depuis déjà longtemps et que l'incapacité à inverser la pente m'a toujours paru quelque peu mystérieuse. Mais ces dernières semaines, je suis tombé sur un documentaire tardif sur France 5 intitulé "Il était une fois... les patrons" et racontant l'histoire du patronat français. Je n'ai vu que la seconde partie qui concerne l'histoire récente depuis la fin des 30 Glorieuses jusqu'à maintenant.
Elle décrit comment l'ensemble des patrons des grandes entreprises français ont finalement abdiqué leurs liberté pour s'attirer les financements (et les faveurs) des grands fonds de pensions américains et plus généralement des investisseurs boursiers. Elle montre de la bouche même des patrons comment ont été gagnées des possibilités de financement considérables mais avec est venue la dictature du court terme avec tout ce qu'elle amène comme dommages collatéreaux. On y voit les différentes attitudes des uns et des autres, qui vont de la repentance tardive sur fond de sagesse pour Claude Bébéart à l'aveuglement confortable de la grosse caisse de résonance pour je ne sais plus qui en passant par une forme de schizophrénie policée pour le nouveau patron d'Axa qui sent bien que ce n'est pas la panacée mais qui en filigrane se demande bien comment on aurait pu faire autrement... Bref, une superbe galerie de comportements humains que n'aurait pas renié Balzac (rien que pour cela, l'émission méritait le détour).
Mais pour en revenir au sujet de ce poste, ce très bon documentaire montre en fait comment le basculement de l'ère du capitalisme "à la française" vers le "capitalisme financiarisé" se sera opéré d'une manière qui n'est pas sans présenter des analogies avec ce que nous observons maintenant dans le management de l'enseignement supérieur et la recherche. D'un coté comme de l'autre on trouve une "doctrine" répétée sans être véritablement questionnée, des évolutions mises en place très rapidement, sans nuances et sans en analyser les conséquences et le tout mis est en musique par une communauté de dirigeants dont la situation matérielle aura in fine plutot bénéficié de l'opération.
Tout cela n'est pas nouveau et les mécanismes que je vois à l'oeuvre dans l'évolution du micro-anthroposystème de recherche et d'enseignement supérieur viennent de très loin, profondément ancré dans notre histoire et peut être même notre nature profonde. Ce qui est plus inédit c'est l'échelle sur laquelle on les retrouve: pratiquement tous les secteurs activités et toutes les zones géographiques sauf peut être les non-Etats (Somalie, Zimbawe) et les zones rurales non indistrualisées (ce qui fait quand même plus de 2 milliards de personnes).
Oui, vraiment, la fin de l'Histoire n'est pas pour demain...