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After a year in Boston, entering an happy Apocalypse
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1 juin 2010

Persevere diabolicum...

Il y a quelques semaines, on me racontait comment dans une grande ville de France dirigée par un maire UMP se mettait en place une oligarchie de copains du Maire occupant les postes clé et s'arrosant copieusement de primes et d'avantages divers et variés. 

Parrallèlement, je découvre dans le Monde un point de vue de délégués CFDT dénoncant la politisation des nominations des hauts fonctionnaires qui rejoint curieusement les interrogations que j'ai quant à la manière dont les choses évoluent dans mon propre milieu professionnel. La tendance est à la multiplication des structures et des barons et marquis qui vont avec, que l'on encourage à faire fonctionner ces structures moyennant des primes sans se poser la question si l'évolution globale du paysage sert vraiment à améliorer les choses.

Dans notre cas, il s'agirait de l'amélioration de la créativité des chercheurs tant au niveau individuel que collectif. Ainsi sur le papier, le financement exclusif sur projet est censé encourager l'innovation et stimuler la créativité et les primes diverses et variées motiver les troupes.

Mais une telle évolution qui nous est vendue comme un moyen de dynamiser les organisations risque en fait se produire les effets inverses. En effet, couplée au progrès des technologies de l'information, cette inflation des chefs va produire dans notre écosystème professionnel les mêmes phénomènes que dans les entreprises, à savoir une inflation des indicateurs et très probablement une montée de la pression - y compris subjective (c'est à dire ressentie)- s'exerçant sur les individus.

En quelques années, nous sommes passés d'un monde où l'on rendait compte de son activité au travers d'un compte rendu dont la forme était relativement ouverte à une évaluation au travers de fiches et dossiers très formattés et détaillés. Pour espérer une promotion il faut ainsi avoir toute une batterie de "sémaphores" dans la bonne configu ration mpris en terme de masse financière brassée (en gros il f aut avoir eu des "contrats" non pas parce que c'est nécessaire mais pour montrer qu'on a été capables d'en avoir).

En clair et comme l'a dit un jour très lucidement le directeur de mon labo: "Avant il fallait faire, maintenant il faut être, demain il faudra paraître".

Or comme le montre Gilles Martin dans son blog, un tel état d'esprit nuit fortement à la créativité et à l'innovation. En effet, des études récentes ont montré que dans les entreprises, ce qui diminue significativement l'innovativité des employés est leur peur du "risque d'image", en clair la peur que les autres, les collègues, les chefs, se moquent de vous, vous regardent défavorablement

Beaucoup de mes collègues sont à titre personnel convaincus de la toxicité des évolutions en cours depuis quelques années. Et pourtant elles continuent même si, lorsque l'on analyse finement comment travaille tel ou tel partie du système, on voit transparaitre dans certains détails les traces des résistances individuelles visant à essayer de faire aller les choses dans une direction plus saine. Et pourtant, la pente ne semble pas s'inverser. 

Je dois dire que j'ai fait ce constant depuis déjà longtemps et que l'incapacité à inverser la pente m'a toujours paru quelque peu mystérieuse. Mais ces dernières semaines, je suis tombé sur un documentaire tardif sur France 5 intitulé "Il était une fois... les patrons" et racontant l'histoire du patronat français. Je n'ai vu que la seconde partie qui concerne l'histoire récente depuis la fin des 30 Glorieuses jusqu'à maintenant. 

Elle décrit comment l'ensemble des patrons des grandes entreprises français ont finalement abdiqué leurs liberté pour s'attirer les financements (et les faveurs) des grands fonds de pensions américains et plus généralement des investisseurs boursiers. Elle montre de la bouche même des patrons comment ont été gagnées des possibilités de financement considérables mais avec est venue la dictature du court terme avec tout ce qu'elle amène comme dommages collatéreaux. On y voit les différentes attitudes des uns et des autres, qui vont de la repentance tardive sur fond de sagesse pour Claude Bébéart à l'aveuglement confortable de la grosse caisse de résonance pour je ne sais plus qui en passant par une forme de schizophrénie policée pour le nouveau patron d'Axa qui sent bien que ce n'est pas la panacée mais qui en filigrane se demande bien comment on aurait pu faire autrement... Bref, une superbe galerie de comportements humains que n'aurait pas renié Balzac (rien que pour cela, l'émission méritait le détour).

Mais pour en revenir au sujet de ce poste, ce très bon documentaire montre en fait comment le basculement de l'ère du capitalisme "à la française" vers le "capitalisme financiarisé" se sera opéré d'une manière qui n'est pas sans présenter des analogies avec ce que nous observons maintenant dans le management de l'enseignement supérieur et la recherche. D'un coté comme de l'autre on trouve une "doctrine" répétée sans être véritablement questionnée, des évolutions mises en place très rapidement, sans nuances et sans en analyser les conséquences et le tout mis est en musique par une communauté de dirigeants dont la situation matérielle aura in fine plutot bénéficié de l'opération.

Tout cela n'est pas nouveau et les mécanismes que je vois à l'oeuvre dans l'évolution du micro-anthroposystème de recherche et d'enseignement supérieur viennent de très loin, profondément ancré dans notre histoire et peut être même notre nature profonde. Ce qui est plus inédit c'est l'échelle sur laquelle on les retrouve: pratiquement tous les secteurs activités et toutes les zones géographiques sauf peut être les non-Etats (Somalie, Zimbawe) et les zones rurales non indistrualisées (ce qui fait quand même plus de 2 milliards de personnes).

Oui, vraiment, la fin de l'Histoire n'est pas pour demain...

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Commentaires
P
...ou plutot contre le "managerialisme". A chacun son terme prefere, en tout cas il me semble clair que l'Amerique du Nord echappe largement a cette rage de l'evaluation en temps reel qui balaye la France (au fait, je ne sais pas ce qui se passe dans le reste de l'Europe).<br /> Les profs sont evalues quand ils sont recrutes, quand ils demandent la tenure, et puis c'est tout.<br /> <br /> Encore plus fort, l'autre jour je demande a un collegue canadien comment sont financees les universites publiques.<br /> Reponse : au prorata du nombre d'etudiants, aussi bien au niveau graduate qu'undergraduate! Forcement, de toute facon ils n'ont pas d'AERES pour evaluer leurs facs alors impossible de faire autrement.<br /> Hallucinant! On se croirait presque dans un pays socialiste style France de fin du 20eme siecle! Et pourtant ça marche.<br /> Evidemment, pour etre tout-a-fait juste il faut dire que ce financement "equidistribue" est reequilibre par du financement sur projet, il y a bien un equivalent de l'ANR ou de la NSF.<br /> <br /> Bref, je me demande si au lieu de monter des reformes inspirees non pas du modele nord-americain mais de fantasmes sur ce modele, on ne pourrait pas regarder ce qui se fait reellement la-bas.<br /> Evidemment, la ou ca se complique c'est qu'on ne peut pas copier tel quel ce qui se fait dans tel ou tel pays, il faut aussi tenir compte de l'histoire de notre propre systeme. Et la je m'arrete parce que ca commencerait a devenir complique.
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B
Comment trouver la parade ? <br /> <br /> Toute la difficulté serait de concevoir, puis proposer des solutions crédibles, alternatives à la doctrine néo-libérale, mais ce seront forcément des solutions complexes, donc difficile à concevoir et encore plus à "vendre". <br /> <br /> En outre, je vois bien peu d'endroits où une telle réflexion et action a lieu sérieusement (ou peut potentiellement avoir lieu)... - au niveau de l'ens. sup. et de la recherche il y avait cet espoir avec l'ANDèS, mais cette asso à laquelle P. et moi avons activement participé est parti vers tout autre chose (sorte "d'ABG bis") et est depuis 1 an en situation de mort cérébrale. <br /> - au niveau politique national, certains (dont je fais parti) ont cru que le MoDem pourrait être le lieu où se développerait et se vendrait une telle alternative politique, c'est la bérézina complète...<br /> - au niveau du secteur financier : la recherche mathématique a permis de développer des solutions alternatives (ces "modèles rugueux"), mais d'une part a échoué à la vendre (y compris aux régulateurs étatiques et supra-nationaux)...<br /> <br /> Enfin, globalement l'humanité peut compter sur 2 leviers pour pouvoir évoluer dans sa conception du monde et son fonctionnement global (et donc aller vers des "règles" et modes de fonctionnement plus complexe) : la science de manière générale, et l'éducation. Or, ces 2 piliers centraux sont considérablement attaqués et affaiblis, et l'on a à peine commencer à en mesurer les conséquences (qui se mesureront sur les 2-3 prochaines générations)...<br /> <br /> Bref, on est hyper mal barré... Que faire ? Je n'en sais rien... :-(
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B
On retrouve cette problématique effectivement dans tous les secteurs, et notamment celui de la finance. <br /> <br /> A voir cet extrait de ce passionnant d'arrêt sur images : <br /> http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=3044<br /> ...visionner l'acte 5. <br /> <br /> Un mathématicien explique : <br /> - pourquoi les modèles utilisés dans la finance actuelle sont faux (modèles dits "lisses"), et notamment ne peuvent prédire les situations de rupture (cracks), <br /> - que le débat scientifique la-dessus est clos et que depuis le milieu des années 199x on dispose de modèles alternatifs fiables (modèles "rugueux") mais plus complexes, <br /> - mais que le monde de la finance (que ce soit les investisseurs ou les régulateurs) continue toujours d'utiliser les vieux modèles simplistes erronés...<br /> <br /> Le pourquoi est intéressant, les invités de cet émissions tombant d'accord sur 2 explications (la seconde encore plus surprenante et terrifiante que la première) : <br /> <br /> 1- ce sont des dogmes idéologiques qui ont intoxiqué les cerveaux et font que les acteurs financiers sont réticents à abandonner les vieux modèles "lisses", compatibles avec la vision néo-libérale d'un marché s'auto-régulant (les modèles "rugueux" remettent implicitement en cause ces dogmes, partant du principe que le monde est plus complexe),<br /> <br /> 2- que les modèles "lisses" erronés arrangent les (très) gros investisseurs, car ils tirent profit des erreurs d'appréciation de ces modèles (en clair : ils ont intérêt à ce que tout le monde suive des modèles faux !) : cf la dernière crise financière, où ces modèles n'ont pas vu arriver les "subprimes", et où in fine les grosses banques d'investissement ont considérablement profité (de l'effondrement d'un concurrent, "lehman brother", et des masses colossales d'argent public ensuite déversé dans leur "casino" géant).<br /> <br /> Le parallèle concernant ces 2 points, avec ce qui se passe dans le monde de la recherche, et dans tous les secteurs en fait, est assez saisissant je trouve... A méditer....
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B
Ce qui est dommage, c'est qu'il n'y a que 2 types d'acteurs politiques qui parlent et agissent :<br /> - ceux qui soutiennent cette idéologie néfaste (faisant partie du corpus de la doctrine néo-libérale),<br /> - ceux (comme "la gauche", et les syndicats, y compris dans notre domaine) qui défendent des positions à l'extrême-opposé caricaturales dont tout le monde perçoit bien le peu de crédibilité comme doctrine alternative dans le monde d'aujourd'hui.<br /> <br /> Dans les 2 cas, il s'agit de doctrines simplistes, qui nient la complexité du monde actuel, et proposent des solutions "toutes faites", simples à mettre en oeuvre, et inefficaces voire néfaste.
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After a year in Boston, entering an happy Apocalypse
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