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After a year in Boston, entering an happy Apocalypse
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25 janvier 2011

Sur un petit vélo... où comment l'émergence nous aura tuer.

La semaine dernière, un très bon point de vue de chercheurs danois publié dans le Monde et qui dénonce en termes clairs la course à la publication qui fait rage à l'échelle mondiale. En particulier ils mettent le doigt sur le cercle vicieux dans lequel nous sombrons collectivement:

  • Il faut publier de plus en plus et de préférence dans un panier de journeaux qui a tendance à se réduire avec le temps;
  • Du coup on passe de plus en plus de temps en rédaction car ces journaux ont en général des contraintes de format très strictes (25 versions pour la dernière "lettre" que j'ai écrit!);
  • Comme en plus on doit passer du temps à faire du buzz autour de nos travaux (et ce dès la soumission de l'article, l'objectif étant alors qu'un max de gens soient susceptibles d'influencer positivement les referees), on a encore moins de temps pour le reste;
  • Et comme pour le financement, c'est chacun pour soi, Dieu pour personne, tout ce qui n'est pas susceptible de contribuer aux succès de ses publications et de ses demande de financement passe au second plan: donc quand on reçoit un truc à référer, c'est une corvée... Et effectivement, j'observe que la qualité des rapports de referee est en chute libre depuis plusieurs années.

Bref on crée un système en apparence de plus en plus compétitif mais qui s'apparente aussi de plus en plus à un curieux mélange de casino et de réseau social... En gros, il faut être dans les A+ et dans un Labex et cette course à l'échalotte des labos conduit actuellement à un gigantesque gaspillage d'énergie et donc d'argent public, comme dénoncé par quatre Verts dans une tribune du Monde.

Un de mes collègues de l'université de Boston a un jour émis une idée intéressante pour sortir de la course aux publis: favoriser la publication d'articles longs. C'est l'exact opposé de la tendance actuelle où il vaut mieux publier trois articles courts (format "lettre") dans des journaux comme Nature que un seul article long dans un Physical Review. Pour cela, une idée serait que les journaux de lettres se mettent à fonctionner par invitation: si un travail publié dans des articles détaillés est reconnu, les éditeurs de ces journaux pourraient inviter les chercheurs à l'origine de ce travail à en publier une version synthétique en format plus court.

Une autre possibilité serait d'avoir des formes de publications analogues à ce que l'on voit en économie où des versions successives d'un article circulent dans la communauté avant la publication définitive. Cela ralentirait le rythme de publication certes mais encouragerait une construction plus collaborative de la connaissance scientifique et limiterait l'explosion informationnelle qui contamine aussi nos métiers. En particulier, les publications ainsi élaborées constitueraient de bien meilleurs points de départ pour des doctorants ou pour des collègues extérieurs au sujet traité.

Mais malheureusement, de telles idées n'ont aucune chance d'être mises en oeuvre spontanément par la communauté des physiciens en ce moment...

Comme tout le monde, nous pédalons toujours plus vite pour rester en équilibre. C'est ce qu'on appelle un comportement émergent: même si individuellement beaucoup d'acteurs sont persuadés que ce n'est pas sain, le collectif est impuissant à changer de trajectoire. Et comme tout le monde, nous finirons par nous abouser lamentablement... On pourra alors parler de comportement immergent...

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Commentaires
B
Après, il y a le problème connexe de la pression à la publi (dont l'explosion informationnelle est une conséquence). Je ne le sens pas directement car les standards Français sont assez bas (par rapport à l'international) chez nous, mais je le sens indirectement à travers mes collaborateurs étranger. De manière général on est entraîné dans cette frénésie de cette manière (sauf à sortir du jeu).<br /> <br /> Cela pousse à d'autres effets pervers néfastes, dont on peut aussi s'amuser à faire la liste, et qui sont nombreux. Dans les cas extrêmes il y a le bidonage bien sûr. <br /> <br /> Mais entre autres (car je crois que c'est important) : la diminution des attitudes coopératives... <br /> Par ex : quelqu'un du même domaine, s'il se rend compte que vous travaillez sur la même idée (ou idée proche), va souvent préférer ne pas le dire et se dépécher de publier avant vous plutôt que vous proposer de bosser ensemble, j'ai été plusieurs fois témoins de cela récemment. Or dans tous les cas, un travail commun aurait permis :<br /> - moins d'articles au total pour la même quantité d'information pertinente publiée, <br /> - des travaux et articles d'une meilleure qualité <br /> <br /> Le système a tendance à affaiblir les attitudes coopératives, alors qu'elles sont essentielles pour que la recherche avance. <br /> <br /> Je crois que l'on tient là un axe général pour proposer des évolutions, qui recouvre les 2 problèmes évoqués ci-dessus : comment modifier le système pour qu'il renforce et valorise les attitutes coopératives ?
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B
Extrait d'une correspondance intéressante avec un ami chercheur :<br /> <br /> >merci pour ces liens que j'ai lu avec intérêt.Je suis en accord >avec certains aspects, mais comme tu le sais, j'ai une opinion >un peu différente:<br /> >1) Je trouve que c'est motivant de publier et que souvent on >arrive à mieux formuler un problème quand on se force à >l'écrire.<br /> <br /> pour passer mes papiers dans de bons journaux, pour le moment en tout cas).<br /> <br /> En revanche, cela devient un problème lorsqu'on se rend compte que l'on passe plus de temps à écrire (articles, projets divers pour des financements,...), qu'à faire de la recherche elle-même. Et mon principal collaborateur, qui est un chercheur qui a une grosse réputation internationale, me confiait récemment qu'il ne fait presque plus qu'écrire et participer à des congrès (il refuse + de la moitié des invitations pourtant) depuis quelques années... <br /> <br /> Mais le problème collectif le plus grave, est celui de "l'explosion informationnelle" que génère l'explosion du nombre de publis. C'est un problème inquiétant dont je serais surpris que tu n'aies pas pris la mesure, et qui nous mène tous collectivement droit dans le mur. <br /> Cela dépasse d'ailleurs largement le cadre de notre métier bien sûr :<br /> http://ayearinboston.canalblog.com/archives/2009/01/14/11823470.html<br /> <br /> Les effets pervers dans notre métier sont nombreux : <br /> - comment arriver à trouver ce qui peut nous intéresser dans la masse de donnée créée tous jours jours ? <br /> - des pans de travaux se retrouvent ensevelis, et on se retrouve à refaire des choses déjà faites, par difficulté croissante de savoir ce qui a été fait avant (j'ai eu çà référer un travail qui répétait un travail antérieur récemment, et pire : je viens de lire un article de ce type dans le meilleur journal de chimie, donc malgré le filtre du refeering !) ;<br /> - la grande masse des articles publiés (dans des revues secondaires, travail secondaire...) ne sera pas lue, donc à quoi sert cette débauche ?<br /> - des effets "communautaires" apparaissent, où face à cette abondance les journaux se spécialisent et sur-spécilisent. Il devient ainsi extrêmement difficile de publier dans les 2 meilleurs journaux de chimie lorsqu'on est théorien (j'ai réussi à place 1 papier dans chacun des 2 ces 2 dernières années, mais ce n'est pas le cas de bien de mes collègues), car il y a plein de journaux "spécialisés". Du coup cela diminue la cross-fertilisation entre sous-communautés qui est pourtant capitale ;<br /> - ... (liste à compléter)<br /> <br /> Bien sûr, je suis 100% d'accord avec cela. Je dirais même que c'est une obligation du métier, et j'ai toujours beaucoup aimé écrire également. <br /> <br /> En revanche, cela devient un problème lorsqu'on se rend compte que l'on passe plus de temps à écrire (articles, projets divers pour des financements,...), qu'à faire de la recherche elle-même. Et mon principal collaborateur, qui est un chercheur qui a une grosse réputation internationale, me confiait récemment qu'il ne fait plus qu'écrire et participer à des congrès (il refuse + de la moitié des invitations pourtant) depuis 2-3 ans... <br /> <br /> Mais le problème le plus grave, est celui de "l'explosion informationnelle" que génère l'explosion du nombre de publis. C'est un problème inquiétant dont je serais surpris que tu n'aies pas pris la mesure, et qui nous mène tous collectivement droit dans le mur. Cela dépasse d'ailleurs largement le cadre de notre métier bien sûr :<br /> http://ayearinboston.canalblog.com/archives/2009/01/14/11823470.html<br /> <br /> Les effets pervers dans notre métier sont nombreux : <br /> - comment arriver à trouver ce qui peut nous intéresser dans la masse de donnée créée tous jours jours ? <br /> - des pans de travaux se retrouvent ensevelis, et on se retrouve à refaire des choses déjà faites, par difficulté croissante de savoir ce qui a été fait avant (j'ai eu çà référer un travail qui répétait un travail antérieur récemment, et pire : je viens de lire un article de ce type dans le meilleur journal de chimie, donc malgré le filtre du refeering !) ;<br /> - la grande masse des articles publiés (dans des revues secondaires, travail secondaire...) ne sera pas lue, donc à quoi sert cette débauche ?<br /> - des effets "communautaires" apparaissent, où face à cette abondance les journaux se spécialisent et sur-spécilisent. Il devient ainsi extrêmement difficile de publier dans les 2 meilleurs journaux de chimie lorsqu'on est théorien (j'ai réussi à place 1 papier dans chacun des 2 ces 2 dernières années, mais ce n'est pas le cas de bien de mes collègues), car il y a plein de journaux "spécialisés". Du coup cela diminue la cross-fertilisation entre sous-communautés qui est pourtant capitale ;<br /> - ... (liste à compléter)<br /> <br /> <br /> Après, il y a le problème connexe de la pression à la publi (dont l'explosion informationnelle est une conséquence). Je ne le sens pas directement car les standards sont assez bas (par rapport à l'international) chez nous, mais indirectement à travers mes collaborateurs étranger. <br /> <br /> Cela pousse à d'autres effets pervers néfastes, dont on peut aussi s'amuser à faire la liste. Dans les cas extrêmes il y a le bidonage bien sûr. Mais entre autres (car je crois que c'est important) : la diminution des attitudes coopératives (par ex : quelqu'un du même domaine, s'il se rend compte que vous travaillez sur la même idée, va souvent préférer se dépécher de publier avant vous plutôt que vous proposer de bosser ensemble, ça m'est arrivé à quelques reprises ces derniers temps). Le système a tendance à affaiblir les attitudes coopératives, alors qu'elles sont essentielles pour que la recherche avance. <br /> <br /> Je crois que l'on tient là un axe général pour proposer des évolutions, qui recouvre les 2 problèmes évoqués ci-dessus : comment modifier le système pour qu'il renforce et valorise les attitutes coopératives ?
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B
Une solution serait de passer à un mode de travail et de rédaction collaborative, cf cette initiative :<br /> <br /> http://osp.dnsalias.net/mediawiki/index.php?title=Main_Page<br /> <br /> ...de toutes façon on en arrivera à un système de la sorte un jour ou l'autre...
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B
Une solution serait de passer à un mode de travail et de rédaction collaborative, cf cette initiative :<br /> <br /> http://osp.dnsalias.net/mediawiki/index.php?title=Main_Page<br /> <br /> ...de toutes façon on en arrivera à un système de la sorte un jour ou l'autre...
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M
ça serait comme le tabac si un seul fumeur qui arrêtait de fumer se faisait tuer par les autres fumeurs qui, eux, continuaient à fumer.<br /> <br /> A voir comment les institutions de recherche "communiquent" depuis quelques années, on a compris que le filtre des communications est en route. Pour eux, conformément aux instructions de leur direction, la science est un moyen de valoriser une institution - je n'ose plus dire institution, mais boutique. <br /> En version légère, c'est bien, mais la bouillie communicationnelle devient épaisse...
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After a year in Boston, entering an happy Apocalypse
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