Etre ou ne pas être, là est la question...
D'ordinaire je ne traduit pas ce que je lis dans la presse anglo saxonne. Mais là, j'ai trouvé le propos de Naomi Klein dans son dernier papier dans "The Nation" que je me suis dit que ça serait dommage de ne pas en traduire des morceaux.
J'ai choisi un passage qui, je trouve, à une résonance toute particulière pour nous dans le contexte de la campagne présidentielle de 2012. D'abord aprce qu'il dit les enjeux sans détours mais aussi parce qu'il pose, comme tout l'article mais ici de manière très concentrée, ce qui pourrait être les bases d'une ligne directrice du camp progressiste (souvent appelé la gauche)... Le choix est somme toute assez simple...
On peut vendre des lendemains qui chantent ou qui en tous cas seront plus juste... et avoir une campagne de mauvaise foi dans lesquels le camp conservateur aura beau jeu de flatter les penchants individualistes et les peurs de l'électeur tout en dénoncant la gentille utopie bisounours des progressistes... Ou bien on peut aussi tenter une campagne de rupture en expliquant clairement au citoyens les enjeux et en articulant les mesures que l'on propose en un projet cohérent, fondé sur des analyses sérieuses et sans présupposés idéologiques. Plutot Churchill que les Bisounours, plutôt un monde vivable dont nous pourrions être fiers plutot qu'une utopie néo-coco-bobo qui finira liquéfiée par un climat à +5 degrés.
Là c'est sur, c'est un affrontement idéologique clair et un combat qui sera impitoyable. Mais jamais le camp progressiste n'a été dans une telle position de force pour remporter la bataille des idées.
C'est précisément ce que nous disent Naomi Klein et, d'une certaine manière, le mouvement Occupy aux USA ou encore Stéphane Hessel et Edgar Morin dans "Le chemin de l'espérance".
"Pour résumer, répondre au défi du changement climatique nécessite de remettre en question toutes les règles canoniques du libre marché et de le faire de manière urgente. Nous aurons besoin de reconstruire la sphère publique, de renverser le mouvement de privatisation, de relocaliser de large pans de nos économies, de diminuer radicalement la surconsommation, de revenir à une planification sur le long terme, et réguler fortement et de taxer les grandes entreprises, peut être même de nationaliser certaines d'entre elles, de renormaliser nos budgets militaires et de reconnaitre notre dette aux pays du Sud.
Evidemment, rien ne tout cela n'a le moindre espoir d'arriver sans déployer un effort considérable pour réduire l'influence des forces économiques sur le débat politique. Cela veut dire pour le moins un financement public des campagnes électorales et donc retirer le statut juridique de "personnes" aux entreprises. En clair, le changement climatique ne fait que renforcer considérablement les arguments et thèses des mouvements progressistes, en leur apportant une cohérence et en leur fournissant un agenda basé sur un impératif scientifique clair.
Plus que cela, au plan politique, le changement climatique constitue l'exemple le plus spécaculaire de "Je vous l'avais bien dit" depuis que Keynes a prédit la retour de flamme allemand suite au traité de Versailles. Marx a écrit à propos du "shisme fondamental" entre le capitalisme et les "lois naturelles de la vie elle même" et beaucoup à gauche ont avancé qu'un système économique basé sur le déchainement des apétits du capital finirait par écraser les écosystèmes naturels. Et bien sur, bien des peuples indigènes ont par le passé tiré la sonette d'alarme sur le danger des manques de respect à la "Terre mère". Le fait que les déchets gazeux du capitalisme industriel soient en train de réchauffer la planète avec des conséquences potentielles cataclysmiques signifie justement que les Cassandres avaient raison. Et que les gens qui ont affirmé "Abandonons toutes les règles et laisson la magie opérer" ont eu totalement, catastrophiquement tort.
Il n'y a aucune raison de se féliciter d'avoir raison sur des sujets aussi graves. Mais pour les progressistes, il y a une responsabilité dans tout cela car cela signifie que nos idées, alimentées par les enseignements des peuples indigènes et par les échecs du socialisme productiviste, sont plus importantes que jamais. Cela veut dire qu'une approche écolo-sociale qui ne se contente pas d'un simple réformisme mais vise à remettre en cause la place centrale du profit dans l'économie, constitue la meilleure chance pour surmonter ces crises superposées.
Mais imaginez in instant ce que cela signifie pour un type comme le président de "Heartland" qui a étudié l'économie à l'université de Chicago et qui m'a décrit sa motivation politique comme "libérer les individus de la tyrannie des autres". Cela ressemble à la fin du monde. Ca ne l'est pas mais de son point de vue et ses objectifs, c'est la fin de son monde. Le changement climatique fait exploser les carcans idéologiques sur lesquels le conservatisme moderne s'appuie. Il n'a y aucun moyen de réconcilier un système de croyance qui rejette le collectif et idolatre la liberté totale des marchés avec un problème qui demande des actions collectives à une échelle jamais atteinte et qui nécessite une prise de controle sur les forces du marché qui ont engendré et qui renforcent la crise."
Naomi Klein, Capitalism vs the Climate, The Nation (2011).