La biologie court t'elle à la faillite scientifique ?
Il y a moins d'un mois sortait une étude sur la supposée toxicité des OGM. Pas mal de gens que je connais l'ont relayé et à première vue, ça semblait apporter quelque chose... Malheureusement, en quelques jours, un certain nombre de faits sont venus ternier
- Le principal auteur de l'étude, Gilles Serafini, est un des membres fondateurs de l'association CRIIGEN dont l'obectif est d'alerter sur les dangers supposés des OGM. Le hic c'est que j'ai appris cela par la bande et absolument pas par un des grands médias français. Imaginez un instant si un chercheur directement membre d'une association d'amis de l'industrie agrolimentaire publiait une étude dont les conclusions seraient l'opposé de celle de Sérafini...
- La méthode de communication choisie par Sérafini et ses collaborateurs est pour le moins critiquable: l'information fut communiquée à des journalistes à partir du moment où ils signèrent un accord de confidentialité leur interdisant d'aller solliciter l'avis d'autres chercheurs sur le sujet!
Autant dire que les auteurs ne sortent pas grandis de ce processus... pour ne pas dire pire. Je ne suis d'ailleurs pas le seul que cela ait choqué: Nature, l'Agence Science Presse du Canada, Ivan Oransky (éditeur en chef du secteur santé de Reuters)...
Il se trouve que lorsque ce papier est sorti, j'avais dans mon entourage des biologistes qui m'ont raconté une nouvelle particulièrement croustillante. Comme vous le savez, les grandes entreprises de pharmacie et de biotechnologies opèrent une veille scientifique sur ce qui se publie afin de voir si elles ne pourraient pas mettre au point de nouveaux médicaments, de nouvelles thérapies à partie des travaux de recherche fondamentale.
Et évidemment, lorsque vous décidez d'aller plus loin qu'une publication scientifique, vous essayez de refaire ce qui a été fait. Et c'est là le problème: plusieurs très grosses firmes se sont rendues comptes que 75% des manips de biologie qui les intéressaient étaient en fait non reproductibles! Oui, vous avez bien lu: 75 % non reproductible! Evidemment, elles s'en sont émues et auraient fait part de leur perplexité à l'INSERM...
Cela n'a fait que confirmer ce que j'ai entendu de la bouche d'un postdoc du département de Biologie de Harvard lorsque j'étais à Boston: dans quasiment tous les articles de biologie, les détails sont érronés où non reproductibles, on ne peut croire qu'aux grandes lignes... Par ailleurs, avec le développement de la fabrication à la demande de souris knocked out, la plupart des articles de biologie se basent sur une souche bien déterminée. Par contre, on multiplie les techniques d'études: pour publier dans une grande revue, il faut du séquencage, de la microscopie confocale, de la biochimie etc etc... C'est une évolution majeure qui s'est ainsi produite par rapport à une vingtaine d'année où l'éventail technique était moins développé mais où on étudiait simultanément plusieurs animaux: souris, rats, singes, chiens... Pour vous en convaincre cliquez sur le graphe suivant [Source]:
Un tel mouvement n'est pas sans conséquences:
- Il devient de plus en plus à un chef d'équipe de maitriser l'éventail des techniques mises en oeuvre dans ses publications. Si le travail est effectué par une collaboration de gens très compétents et expérimentés, la largeur du spectre de techniques mises en oeuvre n'est pas un problème mais avec le mode de financement par projet, le risque est de plus en plus grand qu'un certain nombre de techniques aient été mises en oeuvre par de jeunes chercheurs en postdoc venant juste d'apprendre à utiliser l'appareil... On ne rigole pas: ce risque existe aussi en physique et je sais de quoi je parle.
- Les variabilités au sein des séries de souris knocked out sont considérables... Et en plus elles sont des caractéristiques qui ne sont pas forcément représentatives de toutes les espèces ni même de l'homme. C'est précisément le point développé dans le papier suivant... Quand on sait qu'en plus nombre de manips sont faites avec de fort petites séries d'animaux, et que d'après mes sources, les chercheurs ne prennent pas forcément le temps de regarder si les choses qu'ils observaient résistaient à l'augmentation de taille de leurs séries statistiques (ce qui impliquerait de refaire la manip avec plus d'animaux), je vous laisse imaginer les conséquences.
Dans ces conditions, le constat suivant extrait de l'article que j'ai cité au prend alors un relief tout particulier:
"La recherche engloutit un flot de milliards de dollars chaque année, mais elles n’offre plus qu’un mince filet d’innovations à l’arrivée. Un nouveau médicament viable nécessite dix ans d’efforts et 800 millions de dollars d’investissement; parmi les composés pouvant être envisagés pour les essais, seul 1 sur 10 000 porte ses fruits."
Débordée par une débouche de technologie, mise sous pression par la pression de la course au financement et appauvrie par la focalisation sur un seule modèle animal, la biologie pourrait bien être le premier exemple de science en récession dans l'histoire de l'Humanité. Et je ne parle pas de récession au sens économique du terme mais de récession intellectuelle...
A suivre...
PS: A lire, l'excellent billet de Sylvestre Huet de Libération sur l'étude concernant les OGM.