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After a year in Boston, entering an happy Apocalypse
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4 octobre 2012

La biologie court t'elle à la faillite scientifique ?

Il y a moins d'un mois sortait une étude sur la supposée toxicité des OGM. Pas mal de gens que je connais l'ont relayé et à première vue, ça semblait apporter quelque chose... Malheureusement, en quelques jours, un certain nombre de faits sont venus ternier 

  • Le principal auteur de l'étude, Gilles Serafini, est un des membres fondateurs de l'association CRIIGEN dont l'obectif est d'alerter sur les dangers supposés des OGM. Le hic c'est que j'ai appris cela par la bande et absolument pas par un des grands médias français. Imaginez un instant si un chercheur directement membre d'une association d'amis de l'industrie agrolimentaire publiait une étude dont les conclusions seraient l'opposé de celle de Sérafini...
  • La méthode de communication choisie par Sérafini et ses collaborateurs est pour le moins critiquable: l'information fut communiquée à des journalistes à partir du moment où ils signèrent un accord de confidentialité leur interdisant d'aller solliciter l'avis d'autres chercheurs sur le sujet! 

Autant dire que les auteurs ne sortent pas grandis de ce processus... pour ne pas dire pire. Je ne suis d'ailleurs pas le seul que cela ait choqué: Nature, l'Agence Science Presse du Canada, Ivan Oransky (éditeur en chef du secteur santé de Reuters)... 

Il se trouve que lorsque ce papier est sorti, j'avais dans mon entourage des biologistes qui m'ont raconté une nouvelle particulièrement croustillante. Comme vous le savez, les grandes entreprises de pharmacie et de biotechnologies opèrent une veille scientifique sur ce qui se publie afin de voir si elles ne pourraient pas mettre au point de nouveaux médicaments, de nouvelles thérapies à partie des travaux de recherche fondamentale. 

Et évidemment, lorsque vous décidez d'aller plus loin qu'une publication scientifique, vous essayez de refaire ce qui a été fait. Et c'est là le problème: plusieurs très grosses firmes se sont rendues comptes que 75% des manips de biologie qui les intéressaient étaient en fait non reproductibles! Oui, vous avez bien lu: 75 % non reproductible! Evidemment, elles s'en sont émues et auraient fait part de leur perplexité à l'INSERM...

Cela n'a fait que confirmer ce que j'ai entendu de la bouche d'un postdoc du département de Biologie de Harvard lorsque j'étais à Boston: dans quasiment tous les articles de biologie, les détails sont érronés où non reproductibles, on ne peut croire qu'aux grandes lignes... Par ailleurs, avec le développement de la fabrication à la demande de souris knocked out, la plupart des articles de biologie se basent sur une souche bien déterminée. Par contre, on multiplie les techniques d'études: pour publier dans une grande revue, il faut du séquencage, de la microscopie confocale, de la biochimie etc etc... C'est une évolution majeure qui s'est ainsi produite par rapport à une vingtaine d'année où l'éventail technique était moins développé mais où on étudiait simultanément plusieurs animaux: souris, rats, singes, chiens... Pour vous en convaincre cliquez sur le graphe suivant [Source]:

infoglab02b

Un tel mouvement n'est pas sans conséquences:

  • Il devient de plus en plus à un chef d'équipe de maitriser l'éventail des techniques mises en oeuvre dans ses publications. Si le travail est effectué par une collaboration de gens très compétents et expérimentés, la largeur du spectre de techniques mises en oeuvre n'est pas un problème mais avec le mode de financement par projet, le risque est de plus en plus grand qu'un certain nombre de techniques aient été mises en oeuvre par de jeunes chercheurs en postdoc venant juste d'apprendre à utiliser l'appareil... On ne rigole pas: ce risque existe aussi en physique et je sais de quoi je parle.
  • Les variabilités au sein des séries de souris knocked out sont considérables... Et en plus elles sont des caractéristiques qui ne sont pas forcément représentatives de toutes les espèces ni même de l'homme. C'est précisément le point développé dans le papier suivant... Quand on sait qu'en plus nombre de manips sont faites avec de fort petites séries d'animaux, et que d'après mes sources, les chercheurs ne prennent pas forcément le temps de regarder si les choses qu'ils observaient résistaient à l'augmentation de taille de leurs séries statistiques (ce qui impliquerait de refaire la manip avec plus d'animaux), je vous laisse imaginer les conséquences.

Dans ces conditions, le constat suivant extrait de l'article que j'ai cité au prend alors un relief tout particulier:

"La recherche engloutit un flot de milliards de dollars chaque année, mais elles n’offre plus qu’un mince filet d’innovations à l’arrivée. Un nouveau médicament viable nécessite dix ans d’efforts et 800 millions de dollars d’investissement; parmi les composés pouvant être envisagés pour les essais, seul 1 sur 10 000 porte ses fruits."

Débordée par une débouche de technologie, mise sous pression par la pression de la course au financement et appauvrie par la focalisation sur un seule modèle animal, la biologie pourrait bien être le premier exemple de science en récession dans l'histoire de l'Humanité. Et je ne parle pas de récession au sens économique du terme mais de récession intellectuelle...

A suivre... 

PS: A lire, l'excellent billet de Sylvestre Huet de Libération sur l'étude concernant les OGM.

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Commentaires
E
J'arrive un peu après la bataille mais j'ai juste une remarque pour contribuer à compléter ce que dit Nicolas pour expliquer le peu de succès de la recherche pharma privée (si on suppose en effet qu'il est si mauvais que ça): le fardeau supplémentaire des "Big Pharmas", c'est d'être gérées comme des produits financiers de court terme par leurs investisseurs (typiquement le cas de certains gros fonds d'investissements comme les caisses de retraite américaines), stratégies non-compatibles avec une stratégie de recherche de beaucoup plus long terme. <br /> <br /> D'où une perte de cohérence et d'efficacité de ces mêmes programmes de recherche, ce qui explique à mon avis beaucoup plus les échecs que l'inefficacité supposée de la méthode. Malheureusement ces boîtes ont besoin de beaucoup d'argent pour tourner et les investisseurs les font vivre: ils sont donc bloqués dans ce schéma. <br /> <br /> La crise financière d'une part et la crise de leur modèle économique d'autre part est en train d'amener beaucoup de question sur l'avenir de ces entreprises: c'est encore trop prématuré aujourd'hui pour savoir comment le modèle va évoluer mais ce qui est certain c'est qu'il est aujourd'hui au seuil d'une mutation importante. <br /> <br /> Mon avis c'est qu'on va vers un fractionnement des structures et une spécialisation plus poussée mais c'est une hypothèse qui se discute.
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P
Merci pour le commentaire super intéressant... Je te réponds pendant le week end. Mais si qqun veut compléter ou commenter, you're welcome.
Répondre
N
Alors, plusieurs choses... ;-)<br /> <br /> <br /> <br /> La biologie reste tout de même une science expérimentale sur laquelle l'influence de l'expérimentateur reste déterminante sur l'issue de la manip. C'est assez classique de voir dans les labos des gens pour lesquels ça ne marche jamais ou qui sont les seuls à pouvoir reproduire un résultat (c'est mauvais dans un cas comme dans l'autre). Le fait que tout se fasse "à la main" induit de fait une variabilité importante. Il est d'ailleurs assez fréquent que les journaux en bio publient "back-to-back" plus ou moins la même histoire provenant de deux labos différents, la reproductibilité inter-labo visant à consolider le résultat.<br /> <br /> <br /> <br /> Pour moi, si j'ai bien appris quelque chose sur les 15 dernières années, c'est qu'un résultat qui n'est pas recoupé ailleurs dans de bonnes conditions (avec les bons contrôles et des statistiques solides) est toujours sujet à caution. Je pense que la plupart des chercheurs expérimentés en bio en sont conscients. Je ne pense toutefois pas que ton chiffre de 75% soit valide pour ce qui est publié dans les "bons" journaux (critère subjectif s'il en est, mais bon, on fait avec ce qu'on a sous la main).<br /> <br /> <br /> <br /> En soit, cette donnée intrinsèque à l'expérimentation en bio n'est pas nouvelle. Ce qui est nouveau (disons depuis 20 ans), c'est la pression absolue du "publish or perish" qui pousse à publier à tout va, quelle que soit la qualité ou l'intérêt du travail (il y a tellement de "petits journaux", qui ira vérifier...?). La publication, c'est la condition sine qua non pour accéder aux financements, à la possibilité de recruter du personnel (non permanent, il va sans dire) et d'acheter du matériel, et in fine de re-boucler la boucle... Je discutais récemment de ça avec un chercheur de l'hopitâl Saint-Louis à Paris qui me disait qu'il souffrait de plus en plus, son modèle (comme le mien, d'ailleurs) étant plutôt de chercher à faire un bon boulot solide pour publier dans un bon journal, quitte à ne publier qu'une fois tous les 2 ou 3 ans. Or, le système ferme la porte à des gens de ce style. Il y a là matière à réflexion.<br /> <br /> <br /> <br /> Le sensationnalisme journalistique est aussi un facteur d'amplification, le journaliste lambda n'a pas le recul nécessaire pour comprendre qu'une étude isolée ne fait pas office de bible absolue... Au final, pas de surprise si Madame Michu pense que tous ces chercheurs en bio sont des escrocs incapables qui clament tout et son contraire.<br /> <br /> <br /> <br /> Sur la question de l'éventail technique: c'est vrai pour les publications visant les journaux du haut du panier. Il s'agit de valider un résultat par de multiples approches indépendantes, en soit c'est une très bonne chose, à nouveau pour un domaine où la variabilité expérimentale est élevée. Cette démultiplication des techniques a bien entendu un coût, et la façon la plus simple d'y remédier, c'est de développer de multiples collaborations sur des aspects techniques très précis (chaque équipe ayant en fin de compte ses 2 ou 3 techniques de prédilection). Je pense qu'il y a une connection avec la taille relativement réduite des équipes en sciences du vivant, il est évident qu'une petite équipe coûte moins cher à maintenir en place, mais qu'elle ne peut pas maîtriser tout l'éventail technique qu'elle souhaiterait: il faut donc collaborer au gré des sujets, des financements et autres éléments moins objectifs (compatibilité d'humeur, notamment). <br /> <br /> <br /> <br /> Je suis à 100% d'accord avec toi sur le problème lié au turn-over très élevé dans les labos qui représente un gâchi de savoir-faires incroyable (nécessité de "réinventer" sans cesse la roue, i.e. de devoir reformer de nouveaux arrivants inexpérimentés pour l'utilisation de matériels toujours plus pointus). C'est évidemment une conséquence directe de l'absence de postes permanents. Il y a d'autres éléments plus "sensibles" politiquement qui y sont connectés, autour de tous les Truc-ex (on dira ce qu'on voudra, mais des campus resserrés peuvent mettre en place des plate-formes techniques pour pallier au problème de la perte de savoir-faire, rassembler une masse critique de gens au même endroit à même d'interagir et d'échanger, voire de travailler ensemble, et agréger un réseau pérenne de PME innovantes représentants des passerelles pour le transfert de téchnologies - ça ne peut pas être compatible avec l'idée que chaque chef lieu de canton veut son antenne universitaire d'excellence en bio).<br /> <br /> <br /> <br /> J'en viens maintenant au modèle de la souris et à ton hypothèse de la "récession" (sur laquelle je suis globalement dubitatif). Les papiers dans Slate sur le sujet sont effectivement intéressants (de mon point de vue, J-Y. Nau est un bon journaliste scientifique), mais à force de démultiplier les exemples pour critiquer le modèle souris, on perd un peu de vue certains aspects essentiels pour bien comprendre cette évolution.<br /> <br /> <br /> <br /> A nouveau, la bio, c'est une variabilité expérimentale intrinsèque. Expérimenter sur un animal sorti du stock "sauvage" (i.e. pris au hasard dans la nature), puis sur un autre, etc., c'est augmenter encore la variabilité du fait des différences génétiques entre chaque individu. Il faut donc bien comprendre que les efforts visant à générer des souches de souris génétiquement identiques participe à un effort de normalisation qui permet justement de comparer les résultats entre labos (parce que les souris du métro parisien sont très différentes de celles de la baie de San Francisco... qui sont d'ailleurs toute globalement différentes entre elles). Ces souches de souris dites 'inbreed' (consanguines, en gros) ont apporté une révolution dans la façon de faire de la biologie de manière un peu plus systématique et reproductible, justement. Et il serait très injuste de passer sous silence le fait que cela a amené une quantité faramineuse de découvertes importantes sur les dernières décennies. Je ne dis pas que la focalisation sur le modèle souris n'est pas un problème, mais il faut bien mettre tous les éléments dans la balance. Evidemment qu'il y a de nombreuses situations expérimentales dans lesquelles d'autres modèles animaux sont bien plus pertinents.<br /> <br /> <br /> <br /> Il serait aussi très réducteur de faire la corrélation: souche de souris 'inbred' -> output pharmaceutique réduit. Il y a là plusieurs facteurs qui se combinent et qui n'ont rien à voir avec le fait que la souris est de fait devenue le modèle favori des labos (et encore, il y a beaucoup de modèles de souris, le papier de Slate donne l'impression que la souris Black/6 domine le monde, mais ce n'est pas exactement le cas). On a toujours tendance à regarder en arrière, mais il y a beaucoup d'avancées révolutionnaires récentes (quelques exemples: vaccin malaria en développement, nouveaux traitements contre l'hépatite C, prise en charge des patients HIV, profiling moléculaire des cancers pour permettre une prise en charge "individualisée" de chaque sous-sous-sous-type). Et tout cela a bien entendu largement profité de l'expérimentation sur souris. <br /> <br /> <br /> <br /> L'industrie pharmaceutique doit prendre en compte des aspects réglementaires très stricts qui ont un impact fort sur les coûts de développement des médicaments (ah! la bonne époque où Pasteur pouvait injecter des enfants ramenés de la campagne avec un virus vaguement inactivé dans une éprouvette...!), et la pression financière leur fait faire de la recherche en "coup d'accordéon" avec des changements de cap vertigineux suivant des effets de mode. Il y a 5-10 ans, toute la pharma s'est engouffré dans les anticorps monoclonaux. A l'heure actuelle, ils partent tous dans les "petites molécules" et les "bio-similaires" (en gros, des sortes de génériques). Quid du prochain coup de barre à 180 degrés? L'absence de cohérence sur le long terme n'aide pas, je pense. Finalement, le développement d'outils diagnostiques coûte beaucoup moins cher et rapporte beaucoup plus, avec bien moins de risques financiers et réglementaires. Le développement de médicaments innovants est tout de même sacrément risqué: ça se chiffre en milliards de dollars avec une chance de succès de l'odre de 1-2% en bout de chaîne (chiffres de Genentech il y a quelques années), il y a intérêt à assurer ses arrières et qu'il y ait un marché rentable derrière (l'altruisme, c'est bien, mais ça ne permet pas de payer les filières de production, les salaires des employés et les investissements - je ne mentionne pas les dividendes aux actionnaires, on croirait que je fais de la provoc). C'est d'ailleurs un facteur très limitant pour le développement de nouveaux médicaments/vaccins/etc. pour tout ce qui touche les pays pauvres (tuberculose, dengue, malaria, HIV, j'en passe et des meilleures). La puissance publique ou le mécénat privé (voir l'action remarquable de la Fondation Gates, par exemple) sont essentiels pour dépasser ces limitations d'ordre mercantile...<br /> <br /> <br /> <br /> Au delà, il y a aussi clairement des problèmes d'odre plus scientifique. On ne peut en effet pas non plus négliger le fait que les maladies émergentes en occident ne sont pas les même qu'il y a 50 ans (vieillissement de la population, meilleurs dépistages), et qu'on fait aussi face à des pathologies plus compliquées ou plus fractionnées (nécessité d'une médecine "individualisée" à l'extrème). Il faudra bien un moment accepter que malgré toutes les avancées qui nous donnent désormais une espérance de vie au delà de 80 ans, il y a des limites biologiques de plus en plus difficiles à dépasser... Les organes et les tissus, ça vieillit. L'ADN, ça vieillit aussi. Et il serait très présomptueux de croire qu'on comprends tout à tout. <br /> <br /> <br /> <br /> Chaque résultat débouche au contraire sur beaucoup de nouvelles questions, et il me semble que des approches de plus en plus multi-disciplinaires sont nécessaires pour répondre à des problèmes qui se complexifient (par exemple, je suis immunologiste, et on sait maintenant que le système nerveux central dialogue beaucoup avec le système immunitaire, mais moi je n'y connais rien, en neurobiologie - et quand un neurobiologiste me parle boulot, j'ai beaucoup de mal à suivre, cette difficulté à communiquer n'est pas un problème trivial). Cette approche pluri-disciplinaire est sans doute plus facile à mettre en place au travers de la collaboration ponctuelle entre des équipes hyper-spécialisées et de petite taille. Je ne suis donc pas sûr qu'on puisse dire que la réduction de la taille de l'équipe-type en SDV représente en soit uniquement une "dérive" (même si la pression du système pour imposer ce modèle en est une), cela peut permettre au contraire d'autres modes de travail hyper-collaboratifs et hyper-nomades (pour reprendre le terme d'Attali), dans le sens d'un besoin constant d'interaction avec ce qui se fait ailleurs. <br /> <br /> <br /> <br /> PS: aurais-je été un peu long...? :-D
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T
Ce que tu racontes me fait penser à un dialogue que j'ai eu avec un gars qui dans un labo programmait un truc qui était censé mimer des mutations génétiques. L'algorithme ne distribuait absolument pas les mutations selon une distribution uniforme. Je lui demande donc si c'est voulu, et si son algorithme distribue intentionnellement de manière non-uniforme (j'avais un doute, parce sa distribution me semblait un tantinet bizarre). <br /> <br /> Et bien pour tout dire, je crois bien qu'il n'a absolument pas compris de quoi je lui parlais.
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