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After a year in Boston, entering an happy Apocalypse
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29 juin 2013

Recherche publique: après le dopage, le sevrage...

Décidément, cette rubrique se réveille... Cette semaine, un billet intéressant dans le blog Sciences2 de S. Huet qui relate une polémique entre chercheurs causée par la décrue des financements sur projets et loi Sauvadet forçant les organismes de recherche à proposer un CDI aux personnes qu'elles auraient employé plus de six ans en CDD.

A l'origine de la polémique, une pétition de la fondation Schlumberger soutenue par de grands noms de la recherche biomédicale demandant le retour des financements ANR à leur niveau antérieur et la non application de la loi Sauvadet à la recherche publique. Motif: préserver les moyens des "équipes d'excellence".

Rien de très surprenant derrière cette pétition: il y a dans le monde de la recherche en biologie un certain nombre de gens qui ne jurent que par un modèle hyper-pyramidal dans lequel une poignée de "group leaders" disposeraient de moyens toujours plus importants. J'en ai rencontré à chaque fois que j'ai participé à des débats et ils sont étanches à toute argumentation en faveur d'un "développement durable" de l'activité scientifique.

De manière toute à fait louable, A. Trautmann (le fondateur de "Sauvons la Recherche") et D. Chatenay ont réagit par un texte publié sur le blog Sciences2. Leur texte est intéressant parce qu'il met l'accent sur ce qui se passe en ce moment: en gros, le système de recherche publique ne peut disposer de moyens supplémentaires du fait du contexte économique... en pratique, la décrue commence même à se faire sentir (ça ils n'en parlent pas mais l'inflation des recrutements administratifs pour gérer tout le fric des contrats va commencer à peser sur l'emploi au CNRS) et le gouvernement se trouve donc dans une situation très inconfortable.

The-Folly-of-Growth-New-Scientist-2008-10-18

En effet, avec la montée en puissance des financements sur projet depuis 2005, certains labos (dont le mien) et équipes ont été littéralement dopés! Qu'ont t'ils fait? Ils ont développé leurs activités. Par exemple en physique méso, dans les endroits que je visite régulièrement, le nombre de cryostats a souvent été multiplié par deux ou plus. C'est très bien mais cela génére de nouveaux besoins: il faut des consommables et des bras pour faire tourner tout cela! Mais justement, quand on parle de rééquilibrer le financement entre récurrent et financement sur projet à budget constant, cela veut dire que l'on va déconcentrer les flux de financement. Dans un contexte budgétairement tendu, le risque est réél que les laboratoires ayant été dopés entrent brutalement en sevrage forcé sans que les autres bénéficient pour autant d'un gain très significatif.

Il n'y a malheureusement aucune solution simple à ce problème: pour opérer un changement rapide, il faudrait pouvoir disposer de ressources financières supplémentaires afin d'affecter des récurrents suffisants aux laboratoires et leur permettre d'évoluer en douceur. Et on ne les a pas et on n'est pas prets de les retrouver.

C'est sans doute ce qui explique la situation actuelle marquée par une raréfaction molle (quoi qu'on en dise) des financements sur projet et une stagnation ou augmentation molle des récurrents. Ce qui explique l'impression de Trautmann et Chatenay mais mon interprétation est différente de la leur: le système semble hésiter car toute évolution rapide aurait des conséquences catastrophiques. Et les gens en responsabilité le savent!

Le monde de la recherche, pourtant peuplé de gens éduqués qui en principe sont censés savoir ce qu'est une exponentielle, s'est donc trouvé pris au piège d'une crise de fin de croissance on ne peut plus ordinaire. C'est pitoyable mais c'est la triste réalité.

Evidemment, dans une situation pareille il y a toujours des cyniques et/ou des irresponsables pour essayer de grapiller une part du gateau toujours importante. De ce point de vue, je suis d'accord avec la dénonciation de la pétition par Trautmann et Chatenay. Mais il n'y a pas de solution miracle pour autant...

Dans l'idéal, pour limiter les effets de la crise de sevrage, il faudrait:

  • Faire passer le message sur la situation et expliciter qu'il n'y aura pas d'augmentation spectaculaire des moyens. C'est ce qu'on appelle l'étape de responsabilisation des acteurs ou encore le "coup de pied au cul" qui réveille.
  • Il faudrait ensuite rééquilibrer progressivement le financement entre récurrents et projets en prenant en compte l'activité présente des laboratoires. Ca veut dire favoriser un peu les labos qui auront développé des choses ces dernières années mais je ne vois pas d'autre solution pour éviter un effet de sevrage forcé. L'avantage collatéral c'est qu'on diminuerait ainsi le flux de demandes de fric via les appels à projets (ce qui coute en temps d'évaluation!).
  • On pourrait aider à la transition avec la possibilité d'avoir des financements pour projets légers destinés à financer des collaborations ou des mutualisations de moyens techniques mais sans embauche de personnel supplémentaire! En clair on favorise la prise d'initiatives mais pas la croissance exponentielle du nombre d'activités.
  • Last but not least, il faut partir à la chasse au gaspi en terminant sans pitié toutes les structures intermédiaires génératrices de dépenses administratives et de temps perdu: en clair, exit les Labex et Idex. Comme il n'est pas possible de revenir sur leur création, il suffit de tarir à zéro leur flux de financement... Certes, il y aura des gens sur le carreau (principalement les administratifs embauchés pour faire tourner ces usines à gaz) mais le gain total pour la recherche compensera largement la dissipation que ces structures entrainent. Reste à espérer que ce soit faisable! 

Bon comme je n'ai pas de leviers d'action sur tout cela (croyez moi, ça se verrait), j'invite donc tous les adeptes de la croissance stationnaire et perpetuelle à regarder les cours du Pr. Bartlett sur l'exponentielle:

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