2013: vers un monde perdu?
L'année 2013 s'étant achevée, qu'est ce que nous allons en retenir? Difficile à dire tant on sent que l'on entre dans une période de transformation profonde du monde. S'il ne fallait retenir que deux éléments, je dirais que les trois choses à retenir sont les suivantes:
En premier lieu, le basculement du centre de gravité économique du monde se confirme: la Chine est depuis 2010 la seconde économie du Monde et elle continue sa progression. Il est probable que d'ici 2017, elle aura un poids économique plus important que les USA ce qui en fait n'est pas surprenant du fait de sa population. Pour remettre les choses en perspective, il faut noter que le PIB chinois par habitant n'est pas encore au niveau des USA ni de l'Europe occidentale: il est de l'ordre de 10 k€ là où les USA et l'Europe occidentale sont au dessus de 30 k€.
Cependant, cette donnée cache de profondes disparité: la Chine présente sur son territoire un éventail de niveaux de vie très large. Autant les classes aisés des grandes métropoles comme Shangai ou Pékin bénéficient d'un niveau de vie comparable voire supérieure (en termes monétaires) à l'Europe occidentale autant les campagnes profondes sont dans un autre monde. Pour conserver son avantage à l'exportation, la Chine procède donc comme les pays occidentaux l'ont fait avant elle: elle délocalise un certain nombre de productions soit dans l'intérieur des terres soit dans certains pays voisins (Vietnam notamment)... Jusque là tout va bien: la croissance chinoise est encore suffisante pour assurer une stabilité intérieure et en même temps, elle parvient à conserver son avantage compétitif et donc à avoir une balance des paiements suffisantes.
L'autre chose a retenir de cette année 2013 est la confirmation du boom lié aux hydrocarbures domestiques aux USA (pétrole et gas de schiste). La production domestique augmente depuis deux ans du fait de l'exploitation des ressources non conventionnelles au point que certains prévoient une production native supérieure aux importations courant 2014.
En clair, pour un certain temps, le continent Nord-Américain sera beaucoup moins dépendant des importations en provenance du Golfe Persique qu'il ne l'a été durant les années 90 et 2000. Somme toute, cela tombe bien car parallèlement, l'apétit de la Chine pour l'or noir est en pleine croisance. Tant que les gisements d'amérique du Nord continueront à produire à ce niveau, on peut donc s'attendre à un relatif "équilibre" économique entre USA et Chine et à une reprise américaine. Les choses risquent par contre de changer à partir du moment où ces ressources non conventionnelles entreront en déclin, ce qui risque d'arriver tot ou tard. En fait, le détail des tensions qui émergeront dépendra de la vitesse de déclin de la production domestique par rapport à celle de la production Saoudienne...
Enfin, le troisième élément à retenir de 2013 constitue lui une véritable surprise: c'est ce qui ressort de l'affaire Snowden... Je n'en ai pas beaucoup parlé durant l'année, à mon avis, cela restera dans les livres d'histoire. Au delà des détails, ce qui ressort des documents distillés par Snowden, c'est l'extrème fragilité du réseau Internet et de l'ensemble des activités qui s'y déploient. En fait, c'est déjà un champ de bataille en matière économique et géopolitique... Or d'un autre coté, nos sociétés sont devenues totalement dépendantes du traffic réseau: cela fait longtemps qu'Internet ne sert pas qu'aux universitaires. La logistique des entreprises ainsi que la circulation d'information entre administrations se fait désormais de manière très majoritaire par Internet, signe de la confiance accordée à ce nouveau "monde": il n'y a plus lieu d'opposer la Net économie à l'économie rééle. Cette dernière s'est tout simplement intégrée à l'espace de communication et d'échange que constitue l'Internet.
Corrolaire: coupez le net et c'est le retour aux années 80 sans les stocks ni la résilience de l'époque. En gros, ca ferait un choc comparable au déclanchement des hostilités de la seconde guerre mondiale: ruptures d'approvisionnement, déréglement économique majeur et panique...
Ce que les documents Snowden révèlent, c'est une grosse fragilisation de l'Internet. Des acteurs majeurs comme Google, Microsoft, Apple et même (plus grave) Cisco et autres constructeurs d'infrastructure réseau ont probablement été compromis par le délire totalitaire de la NSA (voir un article en anglais et le papier original du Spiegel sur le sujet). Alors certes, maintenant ils ont beau jeu de se refaire une virginité en jurant qu'on ne les y prendra plus mais le mal est fait.
Comme souvent dans l'Histoire, les évènements les plus significatifs n'ont pas de conséquences immédiatement spéctaculaires. L'affaire Snowden ne va pas provoquer de réaction en chaine: les entreprises du Net, les gouvernement et les citoyens connectés que nous sommes allons continuer notre petit train-train comme avant. Tout simplement parce qu'il est impossible de faire autrement, sauf à se transformer en ermite.
Cependant, le poison est instillé: il est probable que l'Internet continuera d'être le lieu d'une "course aux armements" souterraine dont on comprendra le potentiel dévastateur au prochain conflit impliquant une grande puissance industrielle... exactement comme la course aux armements des années 1900 dont on vit les effets en 1914. Et enfin, tout cela va continuer à nourrir un sentiment de défiance croissant au sein des sociétés avancées... et on sait où cela peut conduire.
Comme le dit Martin Wolf du Financial Times, il ne faudrait pas qu'on recommence les erreurs de la précédente mondialisation.