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After a year in Boston, entering an happy Apocalypse
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15 janvier 2015

Mais pourquoi être Charlie ?

Sur ce coup là, l'actualité m'a quelque peu surprise... Je vais essayer de livrer quelques réflexions sur les évènements passés. A commencer par ce post, qui correspond à ce que j'ai posté sur le mur d'une collègue de confession musulmane en voyant ce qui y circulait...

Ces temps ci, j'ai souvent lu qu'on pleurait beaucoup les morts de l'attentat contre Charlie Hebdo alors que tant d'autres personnes meurent victimes de guerres, de terrorisme et de l'intolérance chaque jour, je voudrais apporter un éclairage sur ce point car il y a, je pense, un malentendu... Je crois qu'il faut replacer l'évènement dans une perspective historique et symbolique. Certes, il ne s'agit de l'histoire de l'Europe occidentale, ce petit continent qui causa tant de changements et de ravages en ce bas monde, mais c'est un élément de l'Histoire humaine dans son ensemble...

Ceux qui savent tout cela pardonneront mon rappel fort concis et donc incomplet mais je pense que cela est intéressant pour comprendre l'impact de l'attentat contre Charlie Hebdo en France et, par exemple, aux USA. Pourquoi est-ce qu'un simple journal qui a fait sa réputation sur ses caricatures et son impertinence a t'il une telle portée symbolique?

Et que veut dire "Je suis Charlie"?

Pour répondre à ces questions, il faut revenir plus de 500 ans en arrière, lorsque la France est passée de l'époque féodale à l'époque classique. Du 16ème siècle à 1789 s'est alors mise en place une organisation politique particulière dans lequel l'autorité de l'Etat s'est exercée par le biais d'un monarque "de droit divin" et possédant un pouvoir "absolu". A cette époque, le roi pouvait sur simple lettre déclencher l'emprisonnement d'une personne qui aurait critiqué sa politique ou même juste égratigné son image. Le philosophe Diderot fut emprisonné pour avoir publié en 1749 un ouvrage dans lequel il développait une thèse sur l'importance de nos sens matériels sur la perception du monde et sur la construction de la morale...

Ainsi, pour avoir juste récité une satire contre le duc d'Aumont dont il refuse de dénoncer l’auteur, l'écrivain et dramaturge (peu connu) Jean-François Marmontel fut enfermé à la Bastille durant 11 jours. Les philosophes de cette période que furent Voltaire, Montesquieux, Diderot eurent droit à des "lettres de grand cachet" ordonnant leur emprisonnement...

En parallèle, la monarchie absolue s'était construite sur le féodalisme et il fut difficile d'en faire table rase... Du coup, dans le royaume de France, chaque seigneur local avait le droit d'imposer son système de poids et de mesures générant des injustices de plus en plus difficiles à supporter. Le sentiment d'injustice qui en découlait était tel que la principale demande issue des "cahiers de doléances" rédigés en 1789 fut que "il n'y ait plus deux poids et deux mesures"... et c'est pour y mettre fin que le "système métrique" fut inventé.

L'arbitraire lié au pouvoir absolu du roi et à celui plus local des seigneurs fut un des déclencheurs d'un mouvement réclamant entres autres l'égalité des droits et des traitements entre les hommes, et la liberté dont la liberté d'expression. C'est parmi les éléments les plus importants (avec la séparation des pouvoirs) qui sous tendaient la Révolution Française et qui constituèrent un des socles ce qu'on appelle aujourd'hui les démocraties occidentales et en particulier la république française.

On mesure l'ampleur du changement que cela a constitué quand on réalise qu'il fallut pratiquement 100 ans (5 générations!) pour que s'installe un régime républicain durable en France (la troisième république: 1870-1940) qui promulga une loi sur la liberté de la presse (1881), la liberté d'association (1901) et enfin la loi sur séparation de la religion et de l'état définissant les modalités de la liberté de culte au sein de la république (1905). Il faut se rappeler qu'en 1832, pour avoir caricaturé le roi (la république n'avait pas duré) Louis-Philippe en géant glouton (Gargantua), Honoré Daumier - le fondateur de la caricature politique "à la française" fut condamné à six mois de prison! De toutes façon, ce même Daumier ne put continuer son activité de caricaturiste politique bien longtemps vu qu'en 1835, une loi de censure sur la presse entraina l'arrêt de publication du journal "La caricature" dans lequel il publiait ses dessins...

Vous me direz que tout cela c'est de l'histoire ancienne mais la mise en oeuvre des idéaux de 1789 pris un temps considérable: la libéralisation des ondes radio date de 1981, le droit de vote des femmes de 1945 et la possibilité pour les femmes mariées de travailler sans la permission de leur mari de 1965. Et même le colonialisme fut l'aberrante et durable négation des principes fondateurs de la république par cette république elle même.

C'est dire si le changement de paradigme politique que représenta la démocratie occidentale n'a pas été un truc évident...

C'est donc dans ce pays, qui soufra pendant des siècles d'un pouvoir central fondé sur l'inégalité entre ses habitants (qui n'étaient justement pas considérés comme des citoyens libres et égaux en droits), appuyé par l'église catholique (monarchie de droit divin) et brimant l'expression de toute opposition que s'est déroulé l'attentat du 7 janvier 2015.

Vous comprendrez facilement qu'aller tuer à l'arme de guerre dans leur salle de rédaction des dessinateurs satiriques au nom de dieu dans un pays dans lequel l'art de la caricature porte un tel poids historique provoque un émoi considérable... Je le redis: c'est ici, dans ce pays et en fait pas très loin de la rédaction de Charlie Hebdo que démarra la révolution de 1789. C'est dans à Paris que Diderot publia son Encyclopédie et que les philosophes se réunissaient dans des cafés pour inventer d'autres manière de penser le pouvoir politique. C'est dans ce pays que Voltaire plaça l'esprit critique devant toute allégeance à dieu, à un roi ou à un texte et qu'enfin, un certain nombre de gens émirent l'idée folle pour l'époque de droits universels de la personne humaine.

Si aujourd'hui, sur cette planète, il est largement admis comme légitime de condamner les régimes qui cherchent à séparer les hommes en classes ou castes aux droits différents, par la force, pour des raisons idéologiques, raciales ou religieuses, c'est précisément parce que par le passé, pas très loin du lieu de l'attentat, des hommes (et sans doute des femmes) formulèrent ces idées et se battirent pour elles.

Ceux et celles qui aujourd'hui s'identifient à Charlie n'oublient pas les autres victimes de l'intolérance. Au contraire: en s'identifiant à Charlie, elles rappellent leur attachement aux principes universels qui au fond les guident, eux et plein d'autres dans la défense des opprimés. 

5413985

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Commentaires
R
Faire preuve de dangerosité n'est en aucun cas incompatible avec du progrès social, technologique ou scientifique, voire même avec un peu d'altruisme. <br /> <br /> La russie d'avant Staline est une russie pauvre, paysanne, et complétement arriérée à cause des Bolchéviques. La russie d'après Staline, c'est la bombe atomique, la conquête spatiale, et une science russe qui (re)commence à prendre de l'envergure.<br /> <br /> L'Italie d'avant Mussolini (qui n'a lui, contrairement à ce qu'on pourrait croire, tué pas grand monde) est une Italie de castes totalement paralisée par la décadence de ses élites. En dynamisant ces castes, l'italie d'après (ou de pendant) fut bien plus égalitaire et sociale que la France d'aujourd'hui.<br /> <br /> On pourrait même s'amuser à citer nos "amis" Israéliens. Est-ce qu'asphyxier les palestiniens, castrer leur propre peuple (les noirs d'Ethiopie), exterminer les "menaces" extérieures sans aucun scrupule ni respect des lois internationales et des fameux droits de l'Homme font d'eux des sauvages ? Ne sont-ils pas, malgré tout, une civilisation qui se respecte scientifiquement, technologiquement, et socialement ?<br /> <br /> <br /> <br /> Si la politique à pour objectif de hiérarchiser des idées, des idéaux, et des valeurs, la société a le devoir de hiérarchiser les Hommes et les différents groupes qu'ils constituent. Donner des droits (individuels) à tous les individus, sans distinction sensée et justifiable, mène à l'anarchie. Une société n'a de sens que parce qu'elle ordonne, structure, et hiérarchise les groupes d'individus (et leur fonction). Les droits individuels, en donnant toujours plus de pouvoir aux individus, ne sont qu'un moyen d'affaiblir l'autorité d'un état que l'on voudrait bienveillant. Par quoi le remplace t-on ? Par les désirs, l'avidité, et la perversité des individus qui le composent. La liberté, l'égalité, et les droits individuels déstructurent. Déstructuration qui n'est dans le fond rien d'autre q'un processus de décivilisation.<br /> <br /> <br /> <br /> L'islamiste a au moins un mérite : ses croyances sont structurantes. Peut-on encore en dire autant des notres ?
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R
Que d'hypocrisie, surtout. Qui, parmi tous ces charlies, défendrait la liberté d'expression en son sens fort ? Celle qui, justement, permet de dire haut et fort qu'il y a des différences fondamentales entre les Hommes, les races, les sexes, les civilisations ? Celle qui, de plus, ne s'interdirait pas de conclure ? <br /> <br /> <br /> <br /> Ces "charlies" sont le reflet de cette philosophie droit de l'hommiste : ils ne sont bons qu'à s'enorgueillir des valeurs qu'ils n'ont pas. Ils manifestent pour une liberté d'expression aseptisée qui ne tolère que l'absence de pensée. Manifestation qui, on se demande bien comment, a réveillé chez ces gens un petit peu de spiritualité. Spiritualité, ou idéal transcendant l'individu devrais-je dire, qui est ironiquement la chose niée par ce à quoi ils s'associent tous. A moins que dans le fond, ce ne soit juste qu'un pretexte pour se prendre dans ses bras et verser une p'tite larme. <br /> <br /> <br /> <br /> Les droits de l'Homme ne sont pas une évidence. Ils ne le seront d'ailleurs jamais, et pour une raison toute simple : les gens sont libres d'aspirer à autre chose qu'une égalité (en droit, ou pas que d'ailleurs) aussi spécieuse que fictive. Tous les individus sont différents, tant par leur fonction au sein de la société que par ce qu'ils sont (compétences, aptitudes, intégrité morale, temps qu'il faudrait pour les remplacer, ...). Pourquoi devrions-nous, dès lors, leur attribuer des mêmes droits et des mêmes devoirs ? <br /> <br /> <br /> <br /> Qu'est-ce que la politique, si ce n'est une hiérarchisation de certaines valeurs ou idéaux ? Si la liberté d'expression est une valeur que l'on considère (ou voudrait considérer) comme essentielle et universelle, il est alors nécessaire de permettre à /tous/ de s'exprimer. Tous, y compris ses pires opposants : qu'ils soient islamistes, fascistes, ou que sais-je encore. <br /> <br /> <br /> <br /> Lorsqu'il s'agit de réfléchir, la vraie tolérance ne se doit-elle pas de tolérer l'intolérable ?
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M
Et pourtant les dessinateurs de Charlie étaient contre les symboles, les voilà devenus symboles malgré eux.
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