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After a year in Boston, entering an happy Apocalypse
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6 septembre 2015

Tau Zéro

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Tau Zéro est un roman de science fiction des années 70 de Poul Anderson, resté quasi-inconnu en France jusqu'à sa traduction dans les années 2010. L'histoire est simple: il relate l'histoire de l'équipage d'un vaisseau lancé à vitesse relativiste pour une mission interestellaire et qui, suite à une collision avec un nuage de poussière, se retrouve dans l'impossibilité de freiner. Propulser par un stato-réacteur nucléaire (système Bussard); le vaisseau n'a d'autre choix que d'accélerer sans fin,embarquant par dilatation relativiste des durées ses habitant dans un voyage sans retour vers le futur.

Certes, il n'a pas la poésie d'un Clarke qui, avec Les chants de la Terre lointaine, avait exploré un thème de la séparation assez comparable... mais l'intérêt principal du roman est, outre la peinture d'un équipage en huis clos dans l'espace profond, de fournir un magnifique support à un cours de relativité restreinte avec tous ses effets bizarres. Et c'est assez réussi...

En fait, le livre m'a même apporté une réponse à une question naive qu'on s'était posé avec les Daltons un soir: on sait qu'il existe un argument simple pour trouver le facteur de dilatation des temps induit par la relativité en utilisant une "horloge de Michelson". Mais existe t'il un argument analogue pour la contraction des longueurs... C'était le soir, on avait évidemment fait des diagrammes d'espace temps sur un tableau et pateaugé un temps certain avant de retrouver la fameuse expression. Mais "Tau zéro" donne une réponse beaucoup plus simple!

En effet, dans l'histoire, le vaisseau traverse pour commencer un nuage interestellaire. C'est d'ailleurs un moment essentiel de l'histoire car c'est ce qui cause la panne des décélérateurs du stato-réacteur Bussard... Le vaisseau va déjà assez vite et le fecteur de dilatation n'est d'ailleurs pas négligeable. Du coup, la traversée du nuage de longueur L par rapport à un observateur qui serait au repos par rapport à celui ci est L/v où v est la vitesse du vaisseau. Mais à bord, c'est une autre chanson: le temps s'écoule 15 fois plus lentement que par rapport au nuage. Du coup, le temps de traversée est L/(15xv)... Les gens dans le vaisseau sachant qu'ils vont à la vitesse v, pour eux, la longueur du nuage est donc L/15: c'est la fameuse contraction de Lorentz.

Le roman explique que même si le nuage est très peu dense, il est potentiellement dangereux pour le vaisseau car plus dense. En effet, du point de vue des gens dans le vaisseau, ils voient également un nuage contracté dans le sens du mouvement et le même nombre collision s'y produit en un temps plus court. En gros, c'est comme si le vaisseau subissait un flux de particules plus dense d'un facteur 15... Evidemment, tout le roman repose sur le fait que le collecteur de matière et le moteur arriveraient à fonctionner même en présence d'un tel flux de particles. C'est loin d'être évident tant les problèmes sont nombreux:

  • Déjà, le milieu interstellaire est contient principalement des atomes d'hydrogène neutres: ils ne sont pas directement déviés par des champs électromagnétiques. Il faut jouer soit sur leur répose dipolaire soit les ioniser. Et pas de bol, la fusion des protons est beaucoup moins facile à réaliser que celle des noyaux de deutérium (quant au tritium, on n'en trouve pas vu qu'il se désintègre avec une demi vie de 12 ans environ).
  • Même si on arrivait à ioniser l'hydrogène, à très haute vitesse, le "vent" ionique ainsi créé déformerait les champs magnétiques chargés de les collecter. Ce point est mentionné dans le livre mais l'auteur suppose qu'on arriverait à corriger ces effets en temps réél ou presque de manière à assurer la collecte de carburant et à éviter que l'équipage ne soit grillé par les particules incidentes.
  • Je n'ai aucune idée de comment pourrait fonctionner un moteur a fusion subissant un tel torrent de matière (augmentation de la densité)... C'est surement un sacré problème de magnéto-hydrodynamique relativiste...

Autre point également mentionné dans le roman: la distorsion optique induite par le mouvement. Là c'est plus difficile à dériver sans formalisme (ce serait intéressant: si quelqu'un connait, je suis preneur) mais en gros, les objets situés devant semblent se concentrent dans l'axe du mouvement et leur rayonnement devient décalé vers le bleu tandis que ceux en arrière semblent concentrés vers l'arrière mais avec un rayonnement décalé vers le rouge! Des images de ce qu'on verrait existent et c'est assez exotique (si vous n'aimez pas les vidéos, lisez cette page):

Mais du coup, la navigation interstellaire devient un vrai casse tête: du fait du ralentissement temporel, il est important de pouvoir corriger rapidement (en temps du vaisseau) la navigation mais de l'autre, observer le ciel et reconstruire une image clair de l'univers autour devient de plus en plus difficile. D'où probablement une utilisation intensive de la simulation pour prédire les trajectoires des objets durant le trajet à partir de données astronomiques collectées avant la mission. Mais cela ne marcherait que pour des distances assez limitées (quelques centaines d'années lumière ?) vu les limitations sur les observations astronomiques précises.

L'autre problème est que le rayonnement extérieur se transforme par cet effet en un flot de rayonnement plus énergétique. Avec un facteur tau de 0.00001, le fond cosmologique qui est actuellement dans le domaine micro-ondes (les GHz) se retrouverait probablement pas loin de l'optique. Plus génant, les banals photons infra-rouges et optiques se transformeraient en rayons X voire gamma qui ont le mauvais gout d'être ionisants! Et les photons n'étant pas chargés, ils ne pourraient être déviés par le collecteur Bussard. Du coup la question du blindage se poserait avec une certaine acuité.

De toutes façon, il faudrait déjà prévoir de pouvoir resister à l'impact d'un grain de poussière de quelques miligrammes. Et cela, c'est loin d'être évident car, avec un facteur tau "modeste" de 0.01, un tel grain aurait une energie cinétique équivalente à l'énergie de masse d'un dixième de gramme ce qui correspond à une fraction non négligeable de l'énergie libérée par les bombes larguées sur Hiroshima et Nagasaki!

Ah oui, j'oubliais: durant la phase d'accélération se produit un truc rigolo. En regardant derrière le vaisseau, vous verriez l'univers "tomber" en arrière comme s'il était en chute libre. Les objets situés plus loins derrière vous tomberaient vite que les objets proches. Mais c'est là que cela devient intéressant car rien ne peut dépasser la vitesse de la lumière! Le vaisseau en accélération trainerait donc derrière lui un "horizon": il serait impossible de voir plus loin qu'une certaine vitesse. Si vous disposiez d'un récepteur capable de récupérer une émission de TV terrestre, vous la verriez se figer lorsque la Terre serait rattrapée par cet horizon (d'où la nécessité d'un timing rigoureux pour ne pas se retrouver avec la tronche de Nadine Morano une publicité pour un dentifrice comme dernière image de la Terre)... Avec une accélération correspondant à la pesanteur terrestre, l'horizon apparait assez proche: une année lumière environ. 

Bref, Tau Zero est vraiment un excellent bouquin de S.F. qui gagne a être lu. Personellement, il m'a donné envie de faire un cours sur la théorie de la relativité entièrement basé sur ces questions de voyages relativistes histoire de rendre le sujet plus fun. Mais préparer un tel cours ne se fait pas du jour au lendemain et donc ce n'est pas pour demain... surtout quand on a déjà du boulot sur le planche niveau cours (PIC).

 

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Commentaires
E
Pour la distortion de l'image c'est relativement simple en fait : imagine un observateur à l'arrêt sous une pluie tombant à sa verticale. Maintenant, imagine un autre observateur inertiel à vitesse non nulle vis à vis du 1er, et avançant dans ce même "champs de pluie". Clairement, un certain angle va se former entre lui et les gouttes, de telle sorte que la pluie ne tombe plus verticalement. Remplace les gouttes de pluie par des photons et tu comprends pourquoi le champ de vision augmente. Ajoute maintenant l'invariance de Lorentz et le fait qu'un photon va à vitesse constante (relativité de la simultanéité + dilatation du temps) et tu comprends pourquoi les objets semblent s'éloigner (la vitesse de la lumière étant une constante dans tous les référentiels inertiels). <br /> <br /> <br /> <br /> Ce même genre d'expérience de pensée explique aussi pourquoi les objets apparaissent "tournés" : tu es capable de "rattraper" un photon (vis à vis de l'objet à l'arrêt) émis d'une face du dessus ou du dessous (ou du côté) de l'objet. D'ailleurs, si tu t'amuses à calculer la taille de l'objet apparent (i.e. de ce que tu vois effectivement), tu ne le verras jamais contracté, mais tourné et tordu (en fait, c'est même plus étrange que ça, parce que la propagation de la lumière "rétablie" les problèmes de parallélisme résultant de la relativité de la simultanéité).<br /> <br /> Maintenant, pour ce qui est du blue shift et du red shift, ben c'est juste un effet doppler classique.<br /> <br /> <br /> <br /> Le coup de la densité me rappelle un paradoxe marrant https://en.wikipedia.org/wiki/Supplee's_paradox
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