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After a year in Boston, entering an happy Apocalypse
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23 décembre 2020

Fantasmes et difficultés liées aux vaccins ARNm

J'avoue, je ne pensais pas que cela irait aussi vite mais les premiers vaccins contre SRAS-NCOV-2 sont sortis avec des taux d'efficacité à court termes impressionnants (plus de 90%)... La raison de ce petit miracle: les vaccins à ARNm qui représentent une vraie percée scientifique et technique.
 
Sur le papier, le principe est simple: plutôt que d'injecter un virus affaibli -- avec le risque qu'il redevienne pleinement actif (cf les premiers vaccins anti-polio) -- ou des bouts de virus qui entraineront la réponse immunitaire, on injecte un bout du code génétique du virus qui va servir à fabriquer dans nos cellules le bout de virus déclenchant la réponse immunitaire et mettant donc en place une protection.
 
Comment ca marche ?
 
Ce qu'on apprenait à mon époque en biologie (bac C 1983), c'est que la cellule synthétise des protéines par un processus en trois étapes:
  • Ouverture de la double chaine d'ADN et création d'un ARNm (mono-chaine) dans le noyau de la cellule (c'est ce qu'on appelle la transcription du code génétique)
  • Celui ci migre hors du noyau pour aller se faire décoder par les ribosomes qui le lisent et sortent les protéines correspondantes sous forme dépliées
  • Une fois décrochée du ribosome, la protéine se replie et devient fonctionnelle...
Ici quand on injecte un brin ARNm, il vient directement produire la protéine qu'on veut synthétiser au niveau des ribosomes. En clair, au lieu d'injecter la maladie, ou un composé identifiant l'agent infectieux, on injecte de quoi faire fabriquer un tel composé par nos cellules et cela de manière temporaire (car l'ARNm est rapidement détruit après avoir accompli sa mission).

Quand on comprend de quoi il s'agit, c'est assez génial.

Mais cela n'est pas simple... et cela est nouveau, donc cela fait peur. 
 
Une des questions qu'on voit fleurir un peu partout est l'inquiétude que le vaccin ARNm ne perturbe notre code génétique... En fait, c'est un risque pour ainsi dire nul pour les raisons que je vais essayer d'expliquer.
 
L'avantage du système basé sur ARN -> ARNm -> protéines est que le code ADN est bien plus robuste, à cause de la structure en double hélice, qu'un code ARN. Donc pour des organismes complexes (et ca commence dès les cellules à noyaux), l'ADN a en quelque sorte été sélectionné pour assurer la pérennité du code générique. Par contre, les virus c'est différent: ce sont de petits objets, avec un code court, une membrane qui peut parfois être assez résistante et ils ont un taux de réplication élevé dans l'hôte. Donc avoir un code ARN est moins problématique pour les virus que pour nous. Au passage, il y a une hypothèse selon laquelle, au départ de la vie, le premier code était l'ARN (hypothèse du monde ARN)... mais l'ADN s'est vite imposé à cause de sa robustesse.

Donc normalement, on a soit des virus ARN, soit des virus ADN et là, l'ARNm est synthétisé comme intermédiaire. Exception dans ce paysage: les rétro-virus qui ont un code ARN mais qui inversent la transcription ARN->ADN (d'or leur nom de rétro-virus) pour fabriquer de l'ADN, et c'est lui qui détourne la machinerie cellulaire pour fabriquer des copies virales... Parmis eux le trop fameux VIH qui bénéficie -- en tant que virus -- du fait que les nombreuses erreurs de réplication intrinsèques au processus de fonctionnement des retrovirus conduisent à ce qu'il se développe en véritable écosystème chez son hote, ce qui conduit par sélection virale au développement d'une redoutable capacité à échapper au système immunitaire.

Mais bon, le SRAS-NCOV-2 est un virus ARN standard... ce n'est pas un rétrovirus. Les vaccins ARNm visent à introduire une petite partie d'ARNm, qui ne représente pas le code du virus complet, mais juste la partie permettant la synthèse d'une protéine caractéristique de l'enveloppe, précisément celle qui permet de s'accrocher aux cellules de l'appareil respiratoire lors de l'infection chez l'homme. C'est cette protéine qui joue le rôle d'antigène (rappel: un antigène est tout agent qui déclenche une réponse immunitaire).

Cela n'empèche pas les gens de s'inquiéter d'une possible intégraton de code génétique via un mécanisme sophistiqué faisant appel à un rétrovirus.
Cet argument contre les vaccins ARNm fait plus précisément référence à la potentielle rétro-transcription induite par une co-infection par un rétrovirus. C' est en fait un argument diffusé par Christian Péronne dans France Soir, qui n'est plus un journal comme chacun le sait... C'est un copier coller d'une tribune de ce monsieur... Mais bon, on peut poser la question d'un risque éventuel de rétro-transcription de cet ARNm... c'est une question scientifique bien posée et légitime.

Mais en fait, cela ne peut pas marcher car il y a deux goulets d"étranglement quasiment absolus:

Pour que la transcription inverse ARN -> ADN intégrable au génome soit possible, il faut deux enzymes en plus: la  transcriptase interse et l'integrase qui ne sont ni dans notre génome ni dans celui du vaccin. On pourrait objecter à cela qu'une infection à retrovirus pourrait être présente chez la personne vaccinée et fournir les éléments nécessaires. Mais tous les processus de lecture de code génétique utilisent une séquence bien spécifique pour démarrer, de la même manière que dans la mémoire d'un un ordinateur, le séquence des bits codant un programme démarrent par un préfixe spécifique. Donc je conjecture qu'en fait le processus de transcription inverse et d'intégration ne fonctionne que si certains prefixes sont présents sur le code ADN généré et donc aussi sous une autre forme, sur le code ARN de départ.

En fait, si l'enzyme agissait de manière universelle sur tous les ARN viraux, on aurait de l'ADN issu de virus ARN non rétrovirus plein notre génome... Or je ne crois pas que ce soit le cas... d'où ma conjecture à laquelle la réponse est surement connue mais qui dépasse mes souvenirs en biologie. Bref, je pense qu'entre l'absence à priori des enzymes nécessaires et l'absence des terminaisons spécifiques, ca n'a aucune chance de se produire.

Enfin, il faut comprendre que ce qu'on injecte c'est un ARNm capable de produire juste une protéine, absolument pas tout le virus..

Si je traduis en une métaphore cet argumentaire: ce n'est pas parce que vous déposez une machine outil qui vient d'une usine Porsche dans un garage de Lyon que vous allez avoir une invasion de chars Tigre -- fabriqués par Porsche -- dans la ville 😉 ... Vous arriverez juste à produire la pièce que la machine outil sert à produire, et ce jusqu'à ce qu'elle s'arrête...

En clair, si le vaccin ARNm fait usage de techniques de génie génétique -- vu qu'on utilise un code génétique pour faire faire quelque chose à nos cellulles -- le risque d'altération de notre génome est astronomiquement faible. C'est même le principal avantage de la thérapie génique basée sur l'ARN comme le dit l'abstract une des publications de Katalin Karinko (voir plus bas):

In vitro transcribed messenger RNA (mRNA) has many advantages as a vehicle for gene delivery. Transfection of mRNA is very efficient (1), and rapid expression of the encoded protein can be achieved. Unlike viral vectors or plasmid DNA, cell-delivered mRNA does not introduce the risk of insertional mutagenesis (2,3). However, activation of these receptors can be avoided by incorporating modified nucleosides, e.g. pseudouridine (Ψ) or 2-thiouridine (s2U), into the RNA (4,5).

Les risques liés au vaccin ARNm sont bien différents et bien plus ordinaires: c'est celui d'une réaction immunitaire face à l'ANRm lui même... Cela a constitué une des principales difficultés dans la mise au point des traitements et vaccins à ARNm. Toujours dans le même abstract:

Previous studies have shown that RNA can activate a number of innate immune receptors, including Toll-like receptor (TLR)3, TLR7, TLR8 and retinoic acid-inducible gene I (RIG-I).
C'est précisément ce premier goulet d'étranglement qui a valu à la scientifique à l'origine de cette percée d'être "mise au placard" pendant si longtemps... Katalin Karinko a ainsi vu sa titularisation refusée par l'université de Pennsylvanie où elle travaillait dès 1995 sur les perspectives offertes par l'ANRm comme raconté dans le très bon article du Monde sur la saga des vaccins ARN.

C'est celle même Katalin Karinko qui en 2005, soit 15 ans avant l'apparition du SRAS-NCOV-2, a publié dans une revue spécialisée plutot confidentielle, un article montrant comment désamorcer la réponse immunitaire liée à l'introduction d'un ARNm étranger dans le corps humain. C'est cette percée qui a permis d'envisager plus sérieusement l'utilisation des ARN comme élement actif dans une thérapie ou un vaccin (ce qui avait été anticipé et même développé à titre expérimental dès 1990):

Since replacing uridines with pseudouridines also abrogates innate immune activation by RNA, Ψ-modified mRNAs are attractive vectors for gene delivery or replacement, vaccine antigen delivery or other RNA-based therapeutic applications.

C'est donc comme cela qu'on a pu développer ces vaccins... Certes, il reste encore la possibilité d'emballement immunitaire du à la protéine virale injectée mais comme l'ARNm est détruit rapidement et donc la synthèse de celle ci arrétée, c'est évidemment infiniment moins risqué qu'une immunité acquise naturellement à l'occasion d'une infection par le virus. Il reste aussi la possibilité d'une réaction immunitaire résiduelle à l'ARNm lui même mais si elle ne se produit pas dans les jours qui suivent le vaccin, il est peu probable qu'elle s'allume un jour. Et elle fait déjà partie des effets surveillés, en particulier pour les personnes ayant une maladie auto-immune. Donc là encore, il est probable qu'il n'y ait pas plus de risque en ordres de grandeurs qu'avec un vaccin habituel.

Pour en savoir plus: voir l'article de Wikipedia sur les vaccins ARNm

Si on résume tout cela en se posant la question des risques liés au vaccin ARNm, la conclusion est claire: entre les risques intrinsèques liés au vaccin ARNm et ceux liés à une infection naturelle par le virus bien actif (à savoir une tempète de cytokines), mon choix est clair... Je me ferai vacciner. 
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Commentaires
G
Superbe travail, au delà d'une simple vulgarisation<br /> <br /> Et hop, imprimé et placardé dans ma salle d'attente afin que mes patients en profitent<br /> <br /> Merci à vous
Répondre
After a year in Boston, entering an happy Apocalypse
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