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After a year in Boston, entering an happy Apocalypse
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23 janvier 2021

L'université au temps du COVID: Darwin strikes back

J'ai suivi l'intervention d'Emmanuel Macron sur le malaise étudiant à l'université Paris Saclay et bon, j'ai été un peu déçu... En gros, l'angle sous lequel problème de l'enseignement supérieur en temps de COVID est traité est celui du "care" ou des "mesures compassionnelles" envers ces pauvres petits étudiants...

Malheureusement, la problématique est beaucoup plus large, le danger pour la jeunesse et le pays bien plus sérieux, et il faudrait donc une réponse bien plus puissante. 

Le point de départ qu'il faut intégrer, c'est que le COVID agit à notre échelle comme un révélateur des difficultés déjà présentes. Et dans notre enseignement supérieur, elles étaient déjà massives avant l'arriver du COVID...

En empêchant les étudiants d'avoir leurs activités habituelles, le virus déstabilise toutes les stratégies de contournement qui permettaient à notre enseignement supérieur de fonctionner cahin-caha malgrès de très grosses faiblesses structurelles et, osons le dire, culturelles. Concrètement:

- En empêchant les étudiants d'avoir des boulots à coté, il met en lumière le fait que beaucoup de gens se lancent dans des études supérieures sans avoir la solidité financière nécessaire, tout cela parce que en France, les parcours en ligne droite et sans interruptions sont favorisés. Ca nous revient en boomerang dans la gueule sous la forme d'une montée de l'angoisse de l'avenir massive chez les étudiants.

- En vidant les locaux et en forçant le passage des enseignements en visio, il jette une lumière crue sur l'hétérogénéité de la qualité des enseignements et sur l'archaïsme des méthodes qui sont essentiellement basé sur la passivité des étudiants censés absorber le savoir dispensé par le "grand prêtre" (comprendre l'enseignant)... Là aussi, retour massif dans la gueule sous la forme d'une démotivation et d'un sentiement de s'être fait abandonner et entuber qui laissera des traces durables dans toute une génération.

Qu'est ce qui est fait pour adresser ces deux points cruciaux: RIEN ou presque.

C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles je pense que Frédérique Vidal est une non-ministre et qu'il devient urgent de la remplacer... Alors qu'on aurait besoin de quelqu'un qui montre une vision, qui dynamise les énergies, on croirait entendre une assistante sociale chargée de consoler les étudiants... C'est totalement pas à la hauteur.

Qu'est ce qu'on pourrait et même devrait faire étant donné qu'on est partis pour mettre du temps à se débarasser du coronavirus ?

Sur le second point, qui est celui avec lequel j'ai le plus de contact de terrain (vu que je suis dedans):

1) il faut dispatcher des moyens auprès des enseignants pour qu'ils puissent faire du distanciel dans de bonnes conditions. Tous ne les ont pas chez eux. 

Juste pour que vous voyez concrètement ce que je veux dire: depuis la pandémie, j'ai acheté sur mes deniers personnels une camera Ipevo (300 €) et une tablette reMarkable 2 (500 €) qui me permettent d'écrire en direct pendant une visio et ensuite de mettre instantanément mes notes en ligne pour les étudiants. Sans cela, impossible de pouvoir répondre à des questions en direct et donc impossible de faire de l'interactivité. Au passage, je bosse sur deux écrans en même temps, ce qui permet de voir simultanément la fenêtre de video-conférences, le support sur lequel on travaille, la fenètre de visualisation de l'Ipevo (que je partage quand j'en ai besoin) et d'avoir un document visible en plus si j'ai besoin. Un second écran raisonnable, c'est 200 euros.

C'est le minimum nécessaire si on veut faire du bon boulot et ne pas être réduit à un rôle d'homme ou de femme tronc de la télévision soviétique des années 80. Il faut clairement injecter de l'argent en plus dans les universités pour cela. Si on pense aussi à l'équipement en serveurs, en licences logicielles, en matériel pour les amphi vu qu'il va y avoir reprise partielle en présentiel, l'investissment va se chiffrer en dizaines de millions d'euros (le nombre d'enseignant est de plusieurs dizaines de milliers, et la dépense typique pour bien s'équiper est typiquement de plusieurs centaines d'euros, voire 2000 euros si les gens n'ont même pas un ordinateur dédié boulot chez eux).

2) la pédagogie magistrale ne passe pas en distanciel: sauf enseignant d'un charisme exceptionnel, un cours magistral en visio c'est aussi chiant qu'un discours de Brejnev à la télé. 

Il faut donc passer en pédagogie inversée dans laquelle on fournit aux étudiants un support de cours et dans laquelle le temps passé avec les étudiants est consacré à revoir les messages essentiels, répondre aux questions, débriefer le travail personnel qu'ils auront mené. L'idée étant qu'ils s'approprient les connaissance par un travail personnel régulier et soutenu sur des supports de qualité, travail mené chez eux seuls mais aussi en groupe, et via l'interaction avec les enseignants.

Tout cela demande donc un effort d'adaptation massif aux enseignants, qui serait grandement facilité par du soutien logistique. En particulier, il faut déployer des outils permettant aux étudiants de travailler en groupe à distance y compris en dehors des temps avec l'enseignant. C'est vital pour créer une dynamique au sein des promotions d'étudiants, pour leur permettre de s'approprier le contenu des enseignements, pour rompre aussi l'isolement. Or pour cela, il faut dispenser aux enseignants -- et aux étudiants "tuteurs" qui sont impliqués dans le processus -- des formations à ces outils et aux méthodes de la pédagogie inversée.

Est-ce qu'on voit dans le discours officiel un encouragement à cela ? Une incitation à investir massivement ces nouvelles pratiques ? Une aide à le faire ? Rien ou presque...

Seule mesure que je trouve intéressante: les emplois étudiants pour les étudiants de Master afin qu'ils aident les étudiants des premières années, qui concentrent les principales difficultés... Ils ont justement un rôle critique à jouer pour créer du lien, impulser des dynamiques et aider à s'approprier les outils de travail coopératif.

Mais quelle indigence: on va demander à des étudiants de faire cela, ce qui représente un effort important en les rétribuant moins que le SMIC, c'est à dire vraiment moins que la dame qui fait le ménage chez moi... Ca en dit long sur la manière dont l'enseignement supérieur est vu dans notre pays.

Si on veut que ca marche, il faudrait les rémunérer significativement sans que cela impact trop le temps qu'ils doivent aussi consacrer à leur propres études afin qu'il y ait une vraie incitation à le faire. Donc on devrait viser 350 euros par mois net pour 6h max par semaine et non pas 8h de l'heure pour 15 heures par semaine... Cela correspondrait à la rémunération de l'activité d'enseignement d'un doctorant, ce qui me semble un minimum.
Ils devraient aussi être accompagnés dans cette activité ce qui serait évidemment plus faisable si on embauchait plus dans les universités 😉 ... 

Sur le premier point, j'ai une vision moins précise vu mon lieu de travail mais clairement, je suis à peu près certains que des milliers d'étudiants, voire des dizaines de milliers ou plus, sont déjà en train de décrocher...

On peut choisir de faire l'autruche ou de les traiter de petits glandus fumeurs de chichon ou de pilliers de terrasses buveurs de bières mais cela ne fera en rien avancer les choses... Au pire, cela causera une fracture entre les générations dont tout le monde fera les frais.

Il serait beaucoup plus intéressant de reconnaître explicitement le phénomène et de proposer une alternative positive: des CDD de "service national en temps de pandémie" un peu dopés financièrement avec une large palette de jobs qui ne nécessitent pas forcément trop de qualification. Et surtout, si les gens arrivent au bout de leur contrat, un jeton bourse d'études à usage différé pour une éventuelle reprise d'études supérieures. L'avantage serait de reconnaitre explicitement que ce n'est pas un drame de décrocher et qu'on peut reprendre après tout en proposant aux étudiants une expérience de type professionnelle le temps de la crise. 

De la sorte, on ne perdrait pas le potentiel de la jeunesse sur le long terme, et on montrerait qu'on attend d'elle qu'elle a un rôle constructif à jouer dans la société maintenant et plus tard.

Bref, dans tout ce que je propose, le mot clé c'est l'adaptation.

Penser le problème de l'enseignement supérieur en temps de COVID comme un problème social étudiant, c'est accepter de subir, se cantoner à faire du "compassionnel"... Je ne dis pas qu'il ne faut pas le faire mais que ne faire que cela ne répond pas au problème de fond. Je plaide donc pour une adaptation vigoureuse, une démarche active, qui donne une perspective positive claire pour les étudiants tout en intégrant le fait qu'on n'en a pas fini avec le virus. 

S'adapter ou subir, tel est le dilemme... Et si on ne réussit pas à s'adapter, Darwin nous a déjà expliqué ce qui était en jeu.
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