Le Livres des Visages

17 décembre 2010

Le Times Magazine vient de couronner Mark Zuckerberg homme de l'année. Je ne peux pas ne pas parler de Facebook.

Il faut dire qu'avant hier soir, la soirée fut rude sur le livre des visages!

zuck Je rentrais de chez moi après une après midi passée à répondre à un referee un peu pénible lorsque, soudain, je décrouvrit qu'un drame capillaire avait frappé un de mes amis du Livre.

Ca arrive à tout le monde de se faire rater par un coiffeur mais il est beaucoup plus rare que ça coute près de 60 euros, sauf coiffure choucroute façon BB des années 60, teinture, bigoudis et autres prestations habituellement reservées au sexe faible... Bref, de fil en aiguille, nous voila embarqué dans une longue tetrasectomie capillaire nous amenant aux sept péchés capitaux en passant par Kubrick... Mais d'un coup je fus frappé de stupeur et tremblements en réalisant soudain, après 23 commentaires enfilés sur ce thread, que nous n'avions vu aucune image du désastre, que dis-je, de la scène de crime... Nous glosions sur du rien, générant de l'information à partir du néant dans un absurde acte de création débridée...

Entre temps, mon pauvre cerveau avait été saturé par un autre thread existentiel d'un ami, père de famille gémellaire, fort anxieux de l'éducation qu'il pourrait donner à ses enfants. Il est vrai que dans le monde qui nous entoure, il ne suffit plus de passer son bac d'abord comme le démontre magistralement un des blogueurs de Libération. Face à la dureté de l'extension du domaine de la lutte, le nouveau cathéchisme éducatif consiste à armer nos enfants - suprème horreur quand on y réfléchit - pour qu'ils puissent arriver au sommet de la chaine alimentaire: tu seras - polytechnicien / normalien / ancien d'HEC / médecin / avocat / haut fonctionnaire / PdG d'Areva / trader chez Goldman Sachs / président de la république / patron des médias / pape - mon fils (rayez les mentions inutiles)...

Et pour cela, il convient d'inculquer à nos chères têtes blondes l'amour inconditionnel du tripalium dès le plus jeune age... et ça commence par une bonne dictée! Devant l'image des chers bambins de mon ami, consciencieusement appliqués sur leur dictée à l'age de six ans, il me vint soudain une fulgurance...

Gargantua_1 Au même age, mon papa me lisait La vie très horrifique du grand Gargantua, père de Pantagruel et je n'ai pas l'idée qu'on m'ait fait faire de dictée avant l'age de 8 ans... J'avoue: j'adorais cette histoire de géant loufoque et scatologique dont l'enfance se passait à boire, manger et dormir ; à manger, dormir et boire; à dormir, boire et manger et qui toujours se vautrait par les fanges, se mascarait le nez, se chauffourait le visage, éculait ses souliers, bâillait aux mouches et courait volontiers après les papillons et patrouillait en tout lieu... Je dois à ces lointaines lectures familiales et à notre institutrice de maternelle qui nous emmena visiter la Devinière et admirer les paysages où Rabelais situa les guerres pichrocolines, le gout des histoires épiques, des paysages paisibles et des délires pas trop sérieux...

Bref, ce sont mes premiers souvenirs culturels qui n'avaient en aucun cas vocation à faire de moi un prédateur pour mes congénères...

En fait, ce qui me plaisait inconsciemment, c'est peut être que Gargantua symbolisait comme une énergie gigantesque, incontrolable, sauvage mais bienfaisante et ordonnant le chaos primordial... Pas étonnant que la très sainte église catholique et romaine, descendante de la haine de soi qui, semble t'il, envoya aux oubliettes de l'histoire l'érotisme joyeux des grecs, s'offuscat de ce personnage et le voua aux feux de l'enfer...

Alors devant ce grand Livre des Visages où un demi milliard d'hommes et de femmes, quelques chinchilas, chats et perruches étalent leurs bouillonnements existentiels, devant ce déchainement d'émotions qui vont de "comment tu vas ? - bien je mange une pizza lol" au désormais mythique "A synthétisé du polystyrène et visualisé l'opalescence critique du SF6 en deux jours! Sympa comme début de semaine, non?" en passant par le geekissime "dual boot sur mon iphone", je me dis que le vrai génie de Zuckerberg est peut être d'avoir crée une de ces forces de la nature incontrolables et sauvage, qui telle une ménade des temps modernes se plairait à engendrer et faconner un chaos pour le coup plus très primordial.