Faster neutrino, kill! kill!
Ce soir je rentre chez moi et j'apprends qu'on aurait détecté des particules se baladant plus vite que la lumière... Et comme c'est une équipe française qui annonce cela, en ces période de culte de l'identité nationale, le Figaro a mis le truc en une de son site Web... rapidement suivi par un paquet d'autres.
Ceci dit, en lisant les brefs résumés disponibles, ce n'est pas gagné:
- L'effet concerne des neutrinos, particules notablement difficiles à détecter... L'équipe a mesuré le temps de propagation entre le CERN et un détecteur situé 731 km plus loin...
- On n'a pas fait faire la course entre des neutrinos et des photons ce qui aurait constitué un argument très fort... Mais on ne sait pas faire traverser la roche aux photons (le faisceau de neutrinos s'enfonce jusqu'à 11 km sous Terre)... En fait, c'est juste une mesure de temps et de distance qui donne la vitesse des particules... Du coup, il y a deux sources d'erreurs: la mesure du temps et la mesure de la distance...
- La mesure du temps de vol a été faite en utilisant deux horloges atomiques synchronisées par GPS. D'après ce que je sais, la synchronisation à 10 nano secondes de deux horloges est possible sur de telles distance. C'est moins que l'effet mesuré: 60 ns... En revanche je ne sais pas estimer l'erreur sur le temps d'émission des neutrinos (qui dépend de l'étalement du paquet de particules ayant servi à les créer) et sur le temps d'arrivée (qui dépend elle du détecteur)...
- Transcrit en distance, l'écart est de 18 mètres sur 731 km. C'est peu... Je serai curieux de savoir comment ils ont fait pour mesurer cette distance avec une précision inférieure à quelques mètres. Sachant qu'en plus la source et le détecteur sont sous Terre... Un ordre de grandeur: la dilatation thermique de 5 degrés sur 100 km de roche est de 15 mètres (coefficient de dilatation thermique des silicates: 3x10^(-5)). Même les marées déforment le globe terrestre (mais beaucoup moins: quelques dizaines de cm au maximum)... Mais en principe, la Terre se déforme rarement d'autant en peu de temps sauf en cas de tremblement de Terre... Ceci dit, une erreur de 50 mètres sur la mesure de distance et plouf, la découverte révolutionnaire se transforme, telle Cendrillon aux 12 coups de minuit, en grosse bouse.
- Reste enfin tous les risques de canular liés à l'électronique au niveau de l'accélérateur et du détecteur de neutrino, etc... Là aussi, pas mal de risques de bousification en vue. En particulier, je n'ose pas imaginer la complexité du générateur de neutrinos, source de bien des canulars potentiels. Il faudrait lire (et comprendre) "The CERN Neutrino Beam to Gran Sasso, Conceptual Technical Design", ref. CERN 98-02 - INFN/AE-98/05) et son Addendum (ref. CERN-SL/99-034(DI) – INFN/AE-99/05) mais là c'est trop me demander! Pour comprendre le problème, méditez sur la phrase suivante (source):
"We recall that the CNGS beam cycle provides two fast-extracted proton spills lasting 10.5 μs each and separated by 50 ms, each containing 2100 bunches with standard deviation 0.25 ns, separated from each other by the CERN SPS RF bucket structure of 5 ns [20]. The OPERA data-acquisition (DAQ) system is organized in such a way that each subdetector provides its data with a distributed time-stamp with a granularity of 10 ns."
- Rappelez vous que le diable est toujours dans les détails. Dans une précédente expérience de mesure de la vitesse des neutrinos (MINOS), il y avait 150 ns d'erreur sur la mesure du temps de vol. Selon la réf. ci dessus:
"The near and far clocks were synchronized absolutely by means of Global Positioning Satellite (GPS) receivers. The resulting systematic error of ±64 ns was dominated by uncertainties in the delays in the optical fibres that ran between the surface antennae and the underground detectors. Including the jitter of the two GPS clocks, the total relative time uncertainty was σ =150 ns."
Bref, avant de crier à la découverte révolutionnaire, il serait bon de procéder à des vérifications approfondies. Et contrairement à ce qu'affirme Le Figaro, ce résultat n'a pas encore été publié dans une revue scientifique, il aurait juste été rendu disponible sur Internet. D'ailleurs c'est bizarre mais je n'arrive pas à le trouver sur les serveurs arXiv.
En complément: ce qu'en dit un blog de physique, carrément sceptique... Pour tout dire, moi aussi je suis très sceptique.