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After a year in Boston, entering an happy Apocalypse
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1 avril 2012

Physique, information et calcul (3)

Déjà trois cours de passés depuis mon dernier post... Ca y est: on est rentrés dans le vif du sujet à savoir l'intrication quantique. Comme je l'ai expliqué dans mon dernier post, on a essayé de leur faire passer un certain nombre de choses sur cette notion assez extraordinaire.

Outre ce que j'ai raconté dans mon dernier post, un des points essentiels sur l'intrication c'est le sujet des inégalités de Bell. Quand j'étais étudiant à l'ENS à Paris, c'était un sujet bien connu dans la maison mais qui n'était pas encore passé dans l'enseignement. J'avais assisté à un séminaire d'Alain Aspect sur le sujet dont je garde principalement le souvenir de la prouesse expérimentale que cela représentait. Mais j'avoue que j'étais très loin d'avoir compris toute la richesse qui se cachait là derrière.

Depuis j'ai un peu mieux compris... le challenge c'est donc de l'expliquer...  

En fait pour expliquer EPR et le non réalisme local de la Nature, les étudiants que j'ai cette année en cours m'ont suggéré par leurs questions une analogie intéressante: celle des horloges SNCF

sncfSi vous avez déjà pris un train depuis une gare par un petit matin glauque, vous avez surement vu une de ces horloges avec un cadrant de chaque coté qui indique l'heure sur ses deux faces. Bon en fait, on m'en a même offert une version bobo-déco pour Noël. Vous savez que si d'un coté vous regardez l'aiguille des minutes, alors sur l'autre cadrant, il y a aussi une aiguille des minutes qui indique le même chiffre, et cela même si personne n'est sur le quai pour regarder l'autre face de l'horloge. Idem avec l'aiguille des heures.

Et bien, c'est cela le réalisme local de Einstein Podolski et Rosen: vu que deux personnes qui regardent la même aiguille sur chacun des deux cadrants de l'horloge lisent toujours la même chose, ben il est naturel de penser que les deux cadrants sont en fait entrainés par un même mécanisme. Il se trouve que la Nature nous fournit des objects qui, comme les horloges SNCF, ont deux cotés, avec des aiguilles de chaque coté présentant une corrélation parfaite entre les deux cadrants... Ca s'appelle des états maximalement intriqués bipartites mais appelons cela des "horloges SNCF quantiques"... c'est tellement plus poétique!

C'est cela qui a posé problème à Einstein-Podolski et Rosen car la mécanique quantique stipule qu'il est impossible de connaitre la position des deux aiguilles avec une précision arbitraire: c'est le principe d'incertitude, qui constitue une sorte de principe de l'emmerdement maximum pour le voyageur du monde quantique. Or si Alice et Bob se placent de chaque coté de l'horloge, et lisent qui l'aiguille des heures et l'autre celle des minutes, ils devraient pouvoir en déduire heure et minutes avec une précision arbitraire. Donc finalement pour ces trois physiciens, la mécanique quantique était incomplète au sens où elle ne dit rien sur ce qui fixe les positions des deux aiguilles.

Longtemps, cette histoire d'horloges SNCF quantiques est restée dans les cartons. Il y avait bien d'autres choses à faire et la théorie quantique alignait triomphe sur triomphe... Du coup personne n'avait envie de prendre son flingue et d'aller chercher le chat... Et comme personne ne savait fabriquer ces horloges bizarres, le quai est resté dans la brume.

Mais un jour, un certain Mr. Bell a eu l'idée de tester la nature profonde des "horloges SNCF quantiques". Et il a prédit que si les "horloges SNCF quantiques" étaient comme celles que nous avions sur les quais de gare, alors cela avait une conséquence expérimentalement testable: les fameuses inégalités de Bell!

Il a fallu attendre encore une grosse quinzaine d'année pour que des physiciens, en particulier français, relèvent le défi expérimental. Mais là, on connait bien l'histoire: un certain physicien Gascon qui a appris la mécanique quantique pendant son service militaire en Afrique a monté la manip dans les longs couloirs d'Orsay à son retour. 

Ce que les expériences d'Aspect sur les inégalités de Bell-CHSH montrent c'est que le monde que nous vivons a des horloges SNCF un peu étrange. Quand quelqu'un arrive sur le quai, il doit choisir quelle aiguille il veut lire et l'horloge ne lui en montrera qu'une seule. Certes si deux personnes situées de part et d'autre de l'horloge consultent la même aiguille, ils liront la même indication. Donc jusque là tout va bien... Mais si vous demandez à lire l'aiguille des minutes et que de l'autre coté, personne ne demande à la lire, alors vous ne pouvez pas dire que cette aiguille de l'autre coté, sur le cadrant que personne ne regarde, a une position bien définie.

N'est ce pas totalement space ? Et bien apparemment c'est comme cela que la Nature fonctionne et il faut faire avec.

Pour la petite histoire, les inégalités de Bell, ou plutot de Clausius, Holt, Shimony, Horne (CHSH) que l'on écrit ne sont qu'un cas particulier d'une famille d'inégalités qui portent sur des combinaisons linéaires corrélations entre des mesures effectuées par deux observateurs dans un système bipartite. Sous quelques hypothèses raisonnables, lorsque l'on admet l'existence de variables cachées locales, chacune de ces combinaison linéaires admet une borne qui n'est autre que celle de CHSH.

En fait, il n'y a rien de très mystérieux là dedans. Ce qui  est en revanche remarquable, c'est que la même quantité en mécanique quantique est aussi bornée mais que la borne en question est strictement supérieure à la borne de Bell. C'est un résultat de 1980 que l'on doit à un russe, Boris Tsirelson, qui vit maintenant en Israel. L'histoire devient croustillante quand on sait que l'écart entre les bornes classiques et quantique puise ses racines dans un résultat de la thèse d'Alexandre Grothendieck sur les espaces vectoriels topologiques (inégalité de Grothendieck). Le ratio entre les bornes de Tsirelson et de Bell est en fait une constante qui dépend du nombre de quantités que l'on mesure de chaque coté. On sait peu de choses sur ces nombres mis à part que, pour deux observables, elle est égale à sqrt(2), plus quelques inégalités pour les autres constantes... En fait, il y a tout un buisness mathématique qui vise à découvrir ces nombres... Et c'est dans le fait que ces constantes sont plus grandes que l'unité que finalement se cache la possibilité de tester la nature profonde des "horloges SNCF quantiques" que la Nature a mis sur notre quai de gare... Personellement je trouve cela totallement hallucinant! Genre "That too is in God's plan"...

Bref, après leur avoir raconté cette petite histoire mathématique amusante, j'ai ensuite fait un rapide état des lieux expérimental. La seule possibilité de grosse surprise serait qu'une expérience conciliant haute efficacité de détection et impossibilité de communication sous luminique ne viole pas Bell mais je n'y crois vraiment pas.

Bref, le réalisme local semble assez bien enterré!

Et j'espère que vous ne verrez plus jamais les horloges SNCF de la même manière (-: ...

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