Physique, information et calcul (5): probabilités, univers parallèles et un peu de rock'n roll...
Ca y est: j'ai fini mes cours. Il reste encore les deux séances d'exposés mais la partie cours est terminée...
Pour ce dernier cours, j'ai donc fini la discussion de la relation entre finitude de la vitesse de transmission de l'information classique et non clonage. En fait, je n'ai pas couvert l'ensemble de la question mais j'ai discuté en détail un exemple d'article qui prétendait prouver que transmission instantanée d'information implique la possibilité de cloner un état quantique inconnu. La réciproque est vraie mais l'article Schumacher et Westmoreland est tout simplement faux comme démontré par van Enk.
L'argument est intéressant en soi car il montre que la notion d'état quantique d'un système physique est vraiment relative à la séquence des opérations conduites sur ledit système. C'est une idée extrèmement importante que l'on retrouve par exemple quand on considère le contrôle quantique et qui est d'inspiration Bayesienne. Le théorème de Bayes est un truc que j'ai rencontré pour la première fois en 1983 (en terminale). A l'époque j'avais l'impression d'être devant un abime tautologique, c'est à dire un truc évident mais que je sentais profond. En fait ce résultat exprime que si on connait quels sont les effets produits par une cause, alors la seule observation des effets nous apporte une information sur les causes.
Dit comme cela c'est évident mais traduit en langage mathématique, cela permet de déduire une loi de probabilité à postériori pour les causes à partir d'une part d'une loi à priori et de notre connaissance probabiliste de la relation de cause à effet et des fréquences statistiques des observations. C'est ce qu'on appelle l'inférence Bayesienne. En clair, cela signifie qu'une loi de probabilité reflète notre ignorance (ou notre connaissance) et est donc contextuelle au sens où elle dépend des observations que nous avons effectuées.
Présenté comme cela, on dirait de la masturbation intellectuelle mais en fait, l'inférence Bayesienne joue un rôle dans notre vie quotidienne: ainsi elle est à la base de toutes les stratégies de dépistage! En effet les tests de détection sanguins (marqueurs tumoraux, VIH, hépatites etc) ne sont pas parfaits. Néanmoins, ce qui compte c'est que l'on ne laisse pratiquement jamais passer de malades indétectés et cela est assuré par le théorème de Bayes (cf image ci contre)... Elle est aussi utilisée dans les algorithmes de recherches d'objets perdus comme des épaves en mer ou des survivants lors de catastrophes pour faire évoluer la grille de probabilité de trouver ce qu'on cherche en fonction des observations déjà conduites et d'une estimation à priori. Elle est enfin utilisée en "archéo-génétique" pour remonter aux évolutions des espèces.
Et bien un point très important c'est que la notion d'état quantique est, à mon avis, du même type: c'est le container qu'à inventé la nature pour décrire tout ce qu'on pourrait obtenir comme résultats de mesures sur un système physique compte tenu des interactions antérieures qu'il a eu (et donc des acquisitions d'informations qui ont été opérées sur lui)... En un sens, c'est une entité Bayesienne et cela apparait clairement par exemple dans la méthode dite des trajectoires quantiques stochastiques ou encore dans le contrôle quantique. Bon ça ne doit pas vous dire grand chose mais vous pouvez aller consulter ce site.
Cette idée que la notion d'état est relative à un historique d'observations antérieure est importante et est à la base de l'interprétation d'Everett de la théorie quantique. Lui a poussé la logique jusqu'au bout en essayant de construire une intreprétation de la théorie quantique auto-cohérente, c'est à dire sans faire appel à des "appareils de mesure classiques" comme dans l'inteprétation orthodoxe de Bohr qui est celle enseignée aux étudiants. Dans l'approche d'Everett, tout est quantique et on ne singularise plus l'appareil de mesure ni l'instant de la mesure. Le grand mérite d'Everett fut à mon avis d'une part de vraiment ouvrir sans tabou la porte de l'après Copenhage et, on le souligne moins, de montrer la nature profondément Bayesienne des états quantiques. Cette inspiration Bayesienne est d'ailleurs plus que manifeste quand on lit sa thèse...
Attention, je ne dis pas que l'interprétation d'Everett est le mot de la fin sur la compréhension de la mécanique quantique. Mais elle a indiscutablement ouvert une porte et elle nous a apporte une autre manière de penser en insistant sur le rôle joué par l'intrication dans la théorie quantique... Le grand mystère pas encore vraiment résolu à mon humble avis, c'est de savoir si la vision d'Everett débouche effectivement sur la notion de multivers structuré en feuillets qui constitueraient autant d'univers parallèles comme cela est défendu par David Deutsch.
En attendant, à l'époque tout ceci était passé inappercu mais c'est précisément le concept d'intrication qui est au coeur de la seconde révolution quantique que nous vivons en ce moment avec le développement de l'information quantique.
Justement, un des objectifs de ce cours, c'était de montrer aux étudiants la profondeur de la réalité quantique et donc en particulier d'essayer d'aller au delà du traditionnel "Shut up and compute"... D'où l'idée évidemment d'insister sur le coté Bayésien des états quantiques et sur l'intrication qui sont les deux éléments essentiels dans la discussion du début de ce post.
En attendant le prochain post sur la fin de ce cours, je vous invite à regarder un documentaire très intéressant sur l'histoire d'Everett et de ses découvertes vue au travers des yeux de son fils, Mark Everett, qui est le leader du groupe de rock Eels... Have fun!