Quand des scientifiques sont à coté de la plaque...
Deux prises de position publiques de scientifiques ces derniers jours... mais qui illustrent hélas des erreurs de raisonnement assez sérieuses.
La première, due à Hawking, prouve que le niveau scientifique ne dispense absolument pas de dire des anneries monumentales:
"Si nous pouvons éviter une catastrophe au cours des deux prochains siècles, notre espèce devrait être sauve si nous nous déployons dans l'espace."
Pourtant, Hawking devrait savoir que nous sommes loin, très loin, de maitriser tous les enjeux techniques d'une présence permanente dans l'espace.
Ainsi, l'ISS est notre seule réussite en service actuellement dans ce domaine et elle représente 100 milliards de $ d'investissements sur plus d'une décénie pour permettre à une demi douzaine de personnes de résider de quelques semaines à quelques mois dans le voisinage immédiat de la Terre: depuis 30 ans, on n'a pas mis les pieds sur la Lune. Rappelons nous enfin que la navette américaine, l'unique programme de véhicules spatiaux réutilisables mis en oeuvre à ce jour, s'est avéré comporter un taux d'accidents largement supérieur à celui des accidents de la route (2 navettes perdues soit 2 accidents sur moins de 200 missions) et que si on avait trouvé plus fiable et moins cher en moins de 25 ans, je crois qu'on aurait mis les navettes dans les musées bien avant qu'elles ne soient toutes bonnes pour la retraite ou désintégrées en petits morceaux.
Bref, les villes sur la Lune et les villas sur Mars, ce n'est pas pour demain et sauf révolution, les étoiles ne sont pas pour l'Homme... en tous cas pas avant que nous n'ayons surmonté la montagne de problèmes qui nous attend sur Terre.
La seconde vise à l'arrêt pur et simple du projet ITER et le redéploiement des moyens associés.
C'est un vieux serpent de mer qui date de plusieurs années et que j'ai maintes fois entendus pendant les Etats-Généraux en 2004. La tribune part d'un problème réél dans le projet ITER (la résistance des parois et matériaux présents dans la chambre du réacteur au bombardement par des neutrons à 14 Mev issus des réactions de fusion Deuterium-Tritium) pour argumenter que le projet risque de ne pas aboutir dans un temps raisonnable pour apporter une contribution utile à la solution de la crise énergétique globale qui s'annonce.
L'argument semble pertinent mais rappelons nous humblement que ni moi, ni aucun des auteurs de la tribune, ne sommes des experts en physique des matériaux en présence d'un bombardement neutronique. Si l'ensemble de la communauté scientifique ayant cette expertise se retrouve autour d'un consensus critiqué par des membres d'autres communautés scientifiques, on risque de se retrouver dans une configuration déjà vue...
Anyway, indépendement de ITER, il importe de mettre le paquet sur des solutions susceptibles de contribuer plus vite à la solution et il y en a essentiellement deux:
- Une réduction de la consommation d'énergie primaire nécessaire pour avoir un niveau de confort de vie analogue à celui des pays les plus développés. Notez bien que je ne dis pas pour avoir un "mode de vie" analogue mais un niveau de confort analogue. Pour en savoir plus, allez voir du coté de chez Jancovici et faites votre propre bilan carbone pour bien prendre conscience du problème!
- Le développement de générateurs électriques susceptibles de produire massivement de l'électricité sans emettre de CO2 (ou presque) et en s'appuyant sur des ressources disponibles sur une période d'au moins 5 siècles. Et là c'est tout ce qui concerne les renouvelables et les réacteurs nucléaires de génération 4 (les surrégénérateurs). Pour en savoir plus, Jean-Marc Jancovici explique très bien sur son site Web quel est le contenu carbone des diverses sources d'énargie primaire et quelles sont les perspectives en terme de déploiement à grande échelle.
Les auteurs de la tribune ont donc raison de demander que plus d'argent soit investi dans le développement de réacteurs de 4ème génération. Mais en lisant la tribune, on voit aussi pointer d'autres motivations plus "naives" (désolé si les auteurs me lisent):
"Ponctionner d’autres projets de recherche au prétexte qu’il y aurait là une source quasi infinie d’énergie n’est donc aucunement justifié. La physique des plasmas doit être financée au même titre que les autres grands domaines de recherche fondamentale, pas au-delà."
En gros, déhabillons Pierre pour habiller Paul... mais en supposant que le jeu est à somme nulle dans le monde de la recherche! Et là est à mon avis la grosse naiveté de cette tribune...
En effet, si pousse le raisonnement vraiment à son terme, les conclusions sont un peu différentes. Si l'objectif est de se préparer à affronter la crise énergétique globale, alors:
- En matière de recherche, ce n'est pas forcément les domaines de recherche fondamentale qui devraient bénéficier d'un effort important. L'exemple flagrant c'est le développement des réacteurs de 4ème génération ou encore de systèmes de grille intelligente capables d'opérer un ajustement en temps réél des consommations électriques et des capacités de production. Les uns comme les autres sont avant tout des gros problèmes de recherche finalisée comportant un important volet ingéniérie et un important volet socio-économique liés aux problèmes de mise en oeuvre (usage et acceptation).
- La transition vers une économie plus sobre ne se fera pas sans modifier nos usages et nos comportements. On sait ainsi qu'une économie importante pourrait être réalisée sur le logement, notammenent par la rénovation massive des logements anciens et par de meilleurs choix lors de la construction de logements neufs (habitats plus groupés, mise ne oeuvre de technologies économiques avancées etc). Or ceci ne se fera pas sans incitations fortes sinon les gens continueront par défaut à privilégier les choix "buisness as usual" (mon grand jardin, ma grande maison, mes mètres carrés etc). Qui dit incitation dit aussi et souvent dépenses liées à la formation des professionnels, au développement des industries produisant les fournitures et au remodelage des infrastructures. Et enfin incitations fiscales qui se traduisent soit par des pertes de recettes (crédits d'impots) soit par des dépenses (subventions). Pour en savoir plus sur ce qui peut vraiment diminuer notre empreinte carbone et énargétique, lisez les réflexions de Jean Marc Jancovici!
Bref, la conclusion qui ne fera surement pas plaisir à mes collègues, c'est que l'argent d'ITER ou de tout autre projet scientifique ou non qui serait arrêté pour mettre en oeuvre une transition vers une société plus sobre énergétiquement devrait être affecté avant tout à autre chose que de la recherche fondamentale (ce qui ne dispense pas de bien la financer)...
Evidemment, cela suppose que cet argent représente une masse assez importante pour faire une différence... C'est une hypothèse essentielle dans le raisonnement des auteurs de la tribune.
Ceci dit, si ITER c'est 15 milliards d'euros étalés sur 10 ans, payés par environ 750 millions de personnes (300 millions d'européens, 100 millions de japonais, 300 millions d'américains et 50 millions d'autres à la louche), ca ne fait jamais que 2 euros par personne et par an. Je n'ai pas choisi les gens au hasard: dans ces pays, le PIB par habitant est facilement de 20000 euros/an et par personne et donc ITER représente environ 0.01 % de la part de PIB par habitant de ces pays chaque année.
Pour information, lorsque l'on a sabordé la taxe carbone en France, même avec un montant homéopatique de 17 euros la tonne de CO2, on parlait d'un impact de 100 à 130 euros par personne et par an (à comparer aux 2 que coute ITER dans la répartition ci dessus)...
Alors pourquoi cette crispation sur ITER ?
Un point de vue appelant à la mise en oeuvre d'une taxe carbone non homéopatique et au développement conjoint d'une part d'un vaste plan d'amélioration de l'efficacité énergétique de l'habitat et d'autre part de la recherche sur les surrégénérateurs, les renouvelables et la grille intelligente n'aurait t'il pas été plus approprié ?
Alors quelle sont les pièges dans lesquels les auteurs de la tribune se sont, à mon avis, englué au mieux un pied, et peut être même deux ? J'en vois deux principaux:
- Un raisonnement réductiviste: dans cette tribune on fonctionne dans un système isolé - la recherche (publique d'ailleurs) - en invoquant des motivations extérieures - la crise énergétique - pour prendre position mais sans prendre en compte que leur prise en compte peut mettre en péril le raisonnement fait sur le système isolé. Or une estimation d'ordres de grandeurs montre que le problème du financement de la préparation à la crise énergétique dépasse largement le financement d'ITER...
- Un risque d'erreur scientifique: encore une fois, les auteurs n'ont pas plus l'expertise pour dire que les défis rencontrés par ITER sur la tenue des matériaux ne pourront être résolus que Claude Allègre n'en a pour dire que le GIEC ne raconte que des conneries. La tribune s'appuie donc sur une prise de position qui n'est pas le produit d'un consensus scientifique collectif mais sur un acte de foi qui n'engage que ses auteurs.
Avec raison, Jancovici a récemment critiqué avec violence la propension excessive de la presse à utiliser des prises de position de chercheurs pour faire vendre du papier. Je crois que la complexité des problèmes et l'importance des enjeux doit nous inciter à plus d'humilité et d'ouverture d'esprit. Faute de quoi, l'apport des scientifiques à ce type de débat échouera bien vite aux oubliettes de l'Histoire sans avoir fait avancer le schmilblick... L'enfer est toujours pavé de bonnes intentions.