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After a year in Boston, entering an happy Apocalypse
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9 novembre 2011

Pourquoi sortir du nucléaire serait une connerie majeure...

Paradoxalement pour trouver une explication claire, il faut sortir de l'héxagone et aller voir sur le site "The Olidrum" un article qui discute la difficulté essentielle des investissements dans une infrastructure énergétique.

Le point à retenir c'est que quand vous construisez une infrastructure énergétique à grande échelle, les limites physiques vont compter. A un moment donné, et pour des périodes assez longues (typiquement plusieurs années), la quantité d'énergie disponible par unité de temps est limitée. Dans le monde d'aujourd'hui, les limitations proviennent du débit des puits de pétrole, des mines de chabon, de la production des barrages et centrales déjà construits. La seule manière de changer la donne est précisément de construire de nouvelle infrastructures. Et même là il y a des contraintes comme je l'ai expliqué plein de fois sur ce blog.

C'est là qu'intervient la notion de TRE (retour energétique sur investissement en énergie, EROEI en anglais): le TRE vous donne le ratio entre la quantité d'énergie récupérée via cette nouvelle infrastructure et la quantité d'énergie que vous avez du mettre pour construire et faire tourner l'infrastructure en question. Ce n'est pas un truc facile à calculer mais en gros, 100 est un très bon retour et évidemment, il faut être au dessus de 1...

Pour comprendre la difficulté d'estimation, prenons le cas du nucleaire: le TRE doit prendre en compte l'ensemble des couts énergétiques depuis la construction jusqu'au démantèlement final, nettoyage du site et gestion des déchets.

EROI_Nuclear_schematic

En fait, le TRE d'une filière dépend de facteurs physiques comme les sources d'alimentation en minerai (est-ce un minerai riche ou pauvre, quel est le cout de transport) mais aussi de l'infrastructure énergétique du pays (cycle de raffinement) et aussi de la politique énergétique (construire un parc de grande taille permet de diminuer le cout énergétique de construction, de maintenance et aussi de gestion de l'après).

De plus, l'estimation que peuvent en faire les économistes est aussi sujette à incertitude car le kWh n'est pas l'unité monétaire sur Terre. Du coup, les économistes en sont réduits à évaluer le nombre de kWh des opérations de construction ou de fonctionnement ou de démantèlement à partir d'estimations ou de données sur les couts (en $ ou €) qu'ils traduisent en kWh via des tables empiriques...

Vous pouvez trouver ici une discussion du TRE du nucléaire qui résume assez bien combien il est compliqué à évaluer. Les estimations varient énormément selon les sources. Pour tout dire, j'ai vu des estimations allant de 93 (cf le lien précédent) à 4 (source qui se fait un peu étriller dans le papier cité ci dessus) mais souvent les estimations tournent entre 10 et 20. C'est bien même si c'est moins que le pétrole au tout début de son utilisation intensive (années 30-40).

Ceci étant, il ne faut pas oublier deux choses importantes: le TRE dépend du temps et il est important de regarder comment évoluent toutes les sources. Il est également intéressant de regarder la production totale de toutes les sources et donc de représenter une source par une zone dans un plan (production totale,TRE). Et là on obtient le graphe suivant (source):

tre-production

 On voit immédiatement les choses suivantes:

  • La photosynthèse est la plus grosse production énergétique, de loin. Mais évidemment, on ne peut pas l'utiliser pour nos besoins de chauffage ou pour faire tourner nos machines! Cependant c'est ce qui nous fait manger...
  • Le pétrole a un TRE qui était élevé quand on a commencé à l'exploiter et qui n'a fait que descendre depuis. A l'échelle mondiale c'est un phénomène clair: selon REF, on est passé de 100 avant la seconde guerre mondiale, à environ 40 dans les années 1970 et 10 maintenant.
  • Pour le charbon, ici on a juste un blob mais en fait à l'échelle mondiale, c'est le même problème. En clair une ressource fossile suit une sorte de trajectoire en croissant de lune, partant d'un TRE élevé, augmentant sa production alors que le TRE diminue puis ensuite voyant sa production décliner de plus en plus alors que le TRE tend vers 1.

Regardons maintenant où se trouve l'énergie nucléaire et les autres énergies non carbonées:

  • Le nucléaire dans sa technologie actuelle est quelque part entre 10 et 20.
  • L'hydroélectrique est la seule ressource renouvelable capable d'assurer un TRE entre 20 et 40 et l'éolien est le seul à s'approcher des 20. Normal: pour l'hydraulique comme l'éolien, le gros du cout des infrastructures est plus faible que pour des paneaux photovoltaiques qui nécessitent du silicium au cout énergétique assez élevé (il faut fondre du sable).
  • Les biocarburants ne sont pas bons ce qui suggère de restreindre leur utilisation au fonctionnement des machines agricoles...

On comprend donc le dilemme: si on est amené à réduire dramatiquement la production d'énergie par hydrocarbures (pétrole et gaz) et charbon, il faut développer les autres sources et donc construire de nouvelles infrastructures, ce qui dans un premier temps a un cout énergétique (voir courbe plus haut). Du coup, dans un contexte où les sources principales d'énergie diminuent, les substituer entraine dans un premier temps une pénurie plus importante!

C'est ce que le graphe ci dessous explique en prenant l'hypothèse d'une source avec un TRE de 10, avec un investissmeent sur 10 ans, dans un contexte de décroissance de 4%/an de l'énergie disponible par les autres sources, que la construction de la nouvelle infrastructure commence par causer une diminution de l'énergie disponible! Tous les scénarios examinés dans la note sur Oildrum montrent le même phénomène: pour effectuer une transition vers d'autres formes d'énergie, il faudra dans un premier temps prélever sur les ressources existantes... 

trap-4-ramp10

On court donc le risque qu'on ne fasse pas ces investissements ce qui nous enfermerait dans une "trappe énergétique" redoutable! Ce que l'étude que j'ai cité montre c'est que le danger est installé durablement: si jamais on s'arrête d'investir en cours de route, le problème réapparait rapidement.

A la lumière de cette analyse, et en prenant en compte les capacités de production des énergies renouvelables et les couts d'infrastructure nécessaire pour augmenter fortement leur part dans le mix énergétique, se passer du nucléaire renforcera l'effet de pénurie liée aux réinvestissements.

Le danger est même que en sortant du nucléaire, on renforce notre dépendance au charbon et au gaz comme l'explique Jean-Marc Jancovici. En clair: 

"Car c'est hélas l'option charbon+gaz qui est la plus probable en cas de "sortie du nucléaire" implémentée dans les années à venir, au Japon comme ailleurs. Mais comme il va par ailleurs y avoir des soubresauts économiques, il n'est pas du tout dit que l'électeur, qui est aussi consommateur, soit d'accord pour en payer le prix en même temps qu'il faut "sortir du fossile" (parce que sortir du nucléaire n'allège en rien le fardeau sur les combustibles fossiles, mais oblige à courir les deux lièvres en même temps). "

D'ailleurs, je vous renvoie à Mathieu Auzanneau qui démonte la soit-disante vertu écologique des allemands concernant leur sortie du nucléaire. Le même argument de la trappe s'applique au problème de la sécurité nucléaire: en stoppant les investissements, on crée les conditions pour qu'un effort ultérieur soit encore plus important (notamment du fait de la perte d'expertise technique) et pour qu'il soit nécessaire dans un contexte plus tendu. Idem pour le développement des nouvelles filières assurant un TRE et une durée de vie supérieure à la génération actuelle (la surrégénération).

La seule possibilité qui s'offre à nous c'est la réduction du nombre de réacteurs par la diminution de consommation. Si on lance un programme sur l'habitat (panneaux solaires, domotique & isolation), on peut espérer diminuer le nombre de kWh électriques consommés pour chauffer de l'eau, de l'air et maintenir des appareils en veille. Sur le moyen terme, cela peut permettre de se contenter d'une production électrique inférieure. Mais dans une première phase, il faudra bien fabriquer les matériaux nécessaires aux travaux de transformation de l'habitat. D'où la nécessité de maintenir une production énergétique dans la phase de conversion.

Notez alors un problème épineux: avec la désindustrialisation, nous consommons des biens fabriqués en Chine par des usines tournant au charbon. Selon une étude de la Carnegie Institution, 23 % des émissions de CO2 liées à la consommation de biens dans les pays développés - soit 6,4 milliards de tonnes - ont été rejetées dans un autre pays. Le plus souvent en Chine, dont 22,5 % des émissions résultent de la production destinée à l'exportation. Dans le classement des plus gros exportateurs de CO2 établi par l'étude, viennent ensuite la Russie, les pays pétroliers du Moyen-Orient et l'Inde.

Le pire, c'est que la situation ne s'améliore pas comme le montre cette étude! Du coup les pays émergents ne se privent pas de nous le rappeler dans les négociations sur le climat!  Ainsi, si on voulait vraiment décarbonner, il faudrait favoriser la réindustrialisation dans les pays dont l'énergie est produite avec un moindre contenu en carbone: par exemple, le Canada (hydroquebec), la Suède et nous... grace au nucléaire! Du coup, on a besoin de cette production pour diminuer notre empreinte carbone tout en convertissant notre habitat... sauf à continuer à utiliser les petits chinois pour fabriquer nos gadgets à pas cher tout en détraquant le climat et en détruisant leur environnement (cf le rapport suivant de Greenpeace sur les ravages des cendres de charbon en Chine). 

cendres

Il ne faut pas oublier non plus le problème du côut: diminuer rapixdement la production nucléaire nécessitera une production thermique supplémentaire dans un contexte de raréfaction de la ressource. Un politique trop rapide et les ménages qui seront priés d'investir massivement pour rénover leur logement se retrouveront en plus avec une facture électrique qui grimpe plus que si on conserve l'option nucléaire (voir cette étude récente).

Du coup, l''insistance malsaine des Verts sur la sortie du nucléaire dans leurs négociations avec le PS me parait vraiment totalement déplacée: elle est écologiquement irresponsable car elle ne s'attaque pas au vrai problème planétaire qui est la dépendance aux ressources fossiles carbonnées et socialement irresponsable car in fine, ce sont les plus modestes qui trinqueront pour que les bobos écolos aient bonne conscience... Et par l'effet de trappe énergétique dont j'ai parlé plus haut, il n'est même pas sur qu'ils verront un jour le bout du tunnel!

Mais bon, les pastèques ont bien compris qu'un débat stérile rapportait plus qu'un débat intelligent... 

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