Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
After a year in Boston, entering an happy Apocalypse
Archives
Derniers commentaires
2 mars 2013

Quand des électrons rencontrent des électrons...

Ca y est! L'article sur la réalisation d'une expérience de Hong Hu et Mandel avec des électrons uniques issus de sources indépendantes vient d'être publié dans Science. 

Pour comprendre de quoi il s'agit, il faut revenir à notre précédente expérience décrite dans ce post dans laquelle on envoyait des électrons sur un miroir semi-réfléchissant. Comme je l'avais expliqué, à priori, un électron qui arrive sur un tel miroir va être partitionné quantiquement et sera ensuite détecté soit d'un coté soit de l'autre. Sauf que, dans notre cas, il arrive parfois qu'il rencontre un électron issu d'une fluctuation thermique arrivant par l'autre coté du miroire. Et là, il se produit un effet bizarre..

Si les particules sont "classiques" ou bien parfaitement discernables, elles se réfléchissent de manière indépendante, chacune choisissant si elle sera transmise ou réfléchie indépendemment de ce que fera l'autre (on les suppose sans interactions). Mais dans le monde quantique, les choses ne se passent pas comme cela. Deux particules identiques étant indiscernables, elles ont plein de chemins possibles pour sortir toutes deux du même coté: soit l'une est transmise et l'autre réfléchie ou bien l'une et réfléchie et l'autre est transmise. Et selon les règles de la mécanique quantique, ces deux chemins vont interférer. C'est l'essence de l'effet Hanbury Brown et Twiss issu de la rencontre improbable entre des préoccupations astrophysiques et les compétence d'un spécialiste du radar pendant la seconde guerre mondiale quelque part dans le bush Australien...

Dans cette nouvelle expérience, on exploite cet effet à fond: de chaque coté du miroir sans tain, on envoie un électron unique via une source déclanchée. Les sources sont quasiment identiques mais on peut les décaler dans le temps, les desynchroniser en somme, de telle sorte que les paquets d'onde électroniques arrivent avec un léger décalage temporel. Si ce décalage est assez important devant la durée du paquet d'onde, les électrons ne vont "pas se voir" et vont chacun se partitionner comme si de rien était. En revanche, si le décalage entre les deux sources est plus petit que la durée d'un paquet d'onde, alors l'effet Hanbury Brown et Twiss va jouer à plein et on va voir les électrons ressortir dans deux voies différentes (les électrons n'aiment pas être entassés dans le même état)! Du coup on observera un pic de corrélation entre les deux voies de sortie, ou de manière équivalente une diminution du bruit dans chacune des voies vu que le flot du courant sera moins aléatoire que si chaque électron choisissait aléatoirement par où il repart.

C'est cela qui a été vu dans l'expérience. La difficulté est la même que dans la précédente expérience sauf qu'en plus il faut disposer d'un échantillon où les deux sources d'électrons uniques fonctionnent et, croyez moi, ce n'est pas gagné. Cet été, l'équipe des expérimentateurs du Labo de l'ENS Paris a eu la chance de tomber sur un échantillon où les deux sources fonctionnaient... il a fallu un peu tatonner pour que le miroir sans tain à électron fonctionne correctement mais cela a permis de faire l'expérience. Le résultat est la courbe ci dessous:

dip

 

Pour se faire une idée des efforts que cela représente, chaque point c'est plusieurs heures d'acquisition. Comme le montage expérimental est un peu délicat, il fallait de plus régulièrement contrôler le niveau en Hélium de système de réfrigération et éventuellement compléter. Mes collègues ont donc fait les 3x8 pendant quelques semaines cet été pour obtenir ce super résultat scientifique. 

Maintenant, même si cette expérience était un des point d'orgue de notre projet ANR, l'important réside dans les perspectives ouvertes. Dans de nos précédents articles, nous avons montré que l'essence de cette expérience réside dans le fait que le miroir semi-réfléchissant transforme la cohérence quantique des deux sources placées en entrée en des fluctuations et corrélations de courant. Plus précisément, nous avons montré que la contribution dues aux interférences quantiques à deux particules est une sorte de "recouvrement" des cohérences quantiques des deux sources. En ce sens, elle illustre parfaitement l'image donnée par Rolf Landauer à la fin du siècle dernier: "The noise is the signal".

La principale perspective ouverte par cette expérience réside dans l'émergence d'une sorte de traitement du signal quantique dans lequel on accède à la cohérence quantique par une sorte de généralisation des transformées de Fourrier ou en ondelettes. C'est d'ailleurs l'idée qui sous-tendait notre proposition de protocole de tomographie.

L'étape suivante consiste donc à améliorer le système expérimental afin d'une part de ramener les temps d'acquisition à un niveau raisonnable et d'autre part d'améliorer encore la sensibilité. Des progrès sont attendus avec le développement d'une nouvelle génération d'amplificateurs cryogéniques construits autour de transistors HEMT (High Electronic Mobility Transistor) par nos collègues du Laboratoire de Photonique et Nanostructures de Marcoussis. Cela permettra d'utiliser l'effet HBT pour explorer la cohérence des électrons en interaction dans les canaux de bord de l'effet Hall quantique et donc mieux comprendre l'effet des interactions sur la cohérence électronique.

Ref: Coherence and indistinguishability of single electrons emitted by independent sources, E. Bocquillon et al, Science 339, p 1054 (2013).

Publicité
Commentaires
C
Ouah, le bel anti bunching :)<br /> <br /> Je sens que ça va être ma lecture de lundi matin ^^
Répondre
After a year in Boston, entering an happy Apocalypse
Publicité
Publicité