Histoire de thé
Ca y est: les stagiaires ont rendus leurs rapports... Bon d'accord, ils ont souffert mais moi aussi!
Je suis tombé sur un binôme complémentaire, y compris dans la rédaction. Autant l'un était super concis, au bord de l'elliptisme mais parfois un peu flou, autant l'autre était bavard mais aussi un peu flou. Et comme c'est pratiquement leur premier mémoire où ils exposent leur travail, et bien il y avait pas mal de corrections... jusqu'à 90% sur certaines pages (record battu). Une fois de plus, les ravages de l'éducation à la française se sont étalés sous mes yeux fatigués... Ceci étant: c'est toujours pareil. Rédiger ne s'invente pas: même pour moi après des années de pratique, ca reste un processus difficile.
Il faudrait quand même qu'on arrive à apprendre à nos chers étudiants comment synthétiser une démarche et en présenter l'essentiel de manière claire et concise. Au pays de Boileau ("Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement"), c'est quand même un peu paradoxal... Je suis de plus en plus convaincu que nous sommes pollués par l'attitude très occidentale qui consiste à en rajouter des louches et des louches. Au fil des années, je me dis qu'il nous manque une forme de simplicité que l'on trouve plutôt en orient...
J'ai donc conseillé à un des deux stagiaires la lecture du "Livre du Thé" d'Okakura Kazukô... C'est un des livres les plus intéressants que j'ai lu avec "Les trois premières minutes de l'Univers" et "The fabric of reality" (entres autres). L'art de la rédaction scientifique partage avec la cérémonie du thé deux éléments: tout d'abord le (侘び (wabi) qui signifie raffinement sobre et calme: il s'agit de dire le plus simplement possible ce qui est nécessaire à l'argumentation scientifique.
Ensuite, comme dans la cérémonie du thé, le processus de rédaction s'apparente à un cheminement. Dans le cas de la cérémonie du thé, les participants passent via un jardin spécialement conu pour cela de l'agitation du monde extérieur au calme et à la simplicité qui caractérise la maison de thé. Ce passage est en fait aussi important que la cérémonie elle même car sa réussite conditionne l'état d'esprit des participants dans la maison de thé.
L'écriture d'un paper est aussi un chemin qui vise à passer du temps de l'exploration, caractérisé par son foisonnement et l'exploration de multiples pistes, à une exposition qui rend la découverte aussi naturelle que possible sans en gacher l'originalité ni la profondeur. Il s'agit donc de retirer le superflu pour ne conserver que l'essentiel, c'est à dire en fait presque rien.
C'est dire combien l'exercice est anti-naturel pour nous qui avons été élevés dans le culte du toujours plus, de la répétition et de l'action au détriment de la contemplation et de la simplification...