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After a year in Boston, entering an happy Apocalypse
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8 janvier 2013

The shape of things to come (2): from bits to it...

Les précédents posts de cette série étaient consacrés à décrire le changement qui s'est produit dans l'univers des données auxquelles à accès l'Humanité: d'une part le changement en volume avec l'envol des masses de données stockables, traitables et analysables (ce qu'on appelle aujourd'hui le "Big Data"), et bien sur le changement dans l'interconnexion entre les individus avec l'émergence d'une datasphère globale...

Mais cette révolution technologique (ou singularité si vous préférez) comporte un troisième volet qui concerne la manière dont nous allons transformer la matière, c'est à dire produire, réparer, transformer et recycler des objets manufacturés. C'est un gros sujet sur lequel je ne prétends pas avoir une vision complète et où, à mon avis, on n'est pas au bout de nos surprises.

Mais on peut l'aborder sous un angle intéressant et pas forcément soupçonné: celui des méthodes de conception et développement des produits. 

En fait, la production de la plupart des objets manufacturés se fait encore selon des méthodes qui ont été élaborées avant la révolution numérique. Cela ne veut pas dire que les outils numériques ne se sont pas imposés dans les usines: les ordinateurs, machines à commandes numériques sont partout, la gestion de la logistique se fait par informatique de même que la comptabilité. Par contre, le cycle de développement est encore dominé par des méthodes et par conséquent des rythmes qui datent du siécle passé. Un exemple c'est le cycle de conception automobile: même si depuis les années 90, on conçoit une platerforme qui sera déclinée en plusieurs modèle (pensez aux Méganes qui vont du coupé à la Scénic), c'est un cycle assez lent qui s'étale sur plusieurs années et qui part de l'élaboration de concepts cars par une petite équipe à la mise au point des outils de fabrication industriels pour la mise en production.

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Une petite animation résume assez bien le processus: on réalise que c'est un modèle avec une inertie colossale. Ainsi, dans la phase initiale, le constructeur doit anticiper sur ce qui plaira aux consommateurs à un horizon de cinq ans, ce qui évidemment constitue une prise de risque. En fait, le processus de fabrication s'apparente à ce que Eric Raymond avait appelé la cathédrale dans son texte "La cathédrale et le bazar".

A l'opposé, dans le domaine du logiciel et en particulier du logiciel libre, le cycle de conception est radicalement différent: c'est le bazar qui est en fait un cycle de conception court basé sur de fréquents allers et retour entre utilisateurs et développeurs, une décomposition du travail en modules indépendants développés de manière déconcentrée et enfin une libre circulation des spécifications techniques. Des idées un peu similaires ont été formalisées de manière plus formelle sous la forme de méthodes dites de "développement agile" utilisées dans les startups. Je ne connais pas les détails donc pour en savoir plus, demandez à Ronan...

Il y a un peu plus de dix ans, on avait utilisé ces mêmes idées pour la production d'information au niveau de la Guilde des Doctorants. Le modèle que nous utilisions générait un effet de levier considérable: la dizaine ou quinzaine de membres actifs de la Guilde à un moment donné arrivait à influencer un écosystème d'environ 100 000 personnes soit 4 puissances de dix au dessus.

Pour savoir comment on y arrivait, lisez notre papier "La Guilde des Doctorants ou le paradigme du bazar appliqué à la notion de service libre" paru dans la revue Terminal en 1999. Un peu plus tard, on a théorisé comment ces méthodes pouvaient permettre de produire une réflexion politique de manière coopérative. C'était l'idée d'une fabrique coopérative d'idées mais malheureusement cela n'a jamais été mis en oeuvre.

Et évidemment, c'est dans le domaine de l'information que ces idées ont connu leur succès le plus éclatant: Wikipédia qui s'est imposé comme la référence encyclopédique... 

Mais ce qui pourrait bien réserver des surprises, c'est la transposition de ces idées à la conception et production de bien matériels! L'idée c'est de repenser le processus de fabrication en décomposant le produit en modules dont les spécifications d'interfacage entre eux sont bien définies mais sur lesquels on va considérablement accélerer le cycle de développement. Le projet Wikispeed vise ainsi à développer une voiture sobre (100 miles par gallon soit environ 2,5 l/100 km) grace à ces idées comme expliqué dans le présent article. Et apparemment ca marche comme le montre le reportage ci dessous:

Evidemment, l'augmentation de puissance des ordinateurs joue un rôle là dedans puisqu'un certain nombre de choses peuvent être déterminées par le calcul au lieu d'être testées en grandeur nature (je pense aux contraintes mécaniques par exemple). 

Bien sur, aujourd'hui, c'est une expérience limitée... On ne va pas changer un siècle d'élaboration de processus de production industriels au jour au lendemain. Mais cela pourrait devenir une tendance intéressante à l'avenir. On pourrait ainsi imaginer un basculement important dans la production de biens de consommation courante dans lequel une même infrastructure industrielle (les usines de productions) pourraient servir à la production de plusieurs "modèles" issus de "projets agiles" différents. On pourrait même imaginer une évolution extrème du modèle avec une segmentation d'un secteur entre d'un coté les concepteurs et de l'autre des industries dont le métier serait non pas de produire des voitures ou des aspirateurs mais de fournir des infrastructures polyvalentes pour la production de biens personalisés divers et variés. 

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Le schéma des modules de la Wikispeed car...

Le développement des imprimantes 3D est déjà une évolution de ce sens mais on pourrait imaginer des usines qui vendraient non pas des biens mais de l'accès à des facilités de fabrication pour des projets conçus ailleurs. Soyons clairs, comme Christopher Mims, je ne pense pas que l'imprimante 3D domestique puisse produire tous les biens ou toutes les pièces dont nous avons besoin. En revanche, j'envisage comme crédible la possibilité d'entreprises louant des moyens de fabrication qui seraient à la 3D ce que l'entreprise de reprographie et imprimerie numérique est à la production de supports, documents et autres graphiques.

Cela pourrait aider à passer d'une économie du jetable à une économie du réparable: dans un tel modèle, si votre aspirateur tombe en panne, vous payez un peu la boite d'origine pour obtenir les spécifications de la pièce à changer qui serait alors fabriquée à la demande dans une telle entreprise de fabrication. Avantage: la boite d'origine n'aurait pas à gérer de stocks de pièces de rechange! Quant à la perte de revenu liée à la réparabilité, elle pourrait être compensée par la facturation de l'accès aux spécifs des pièces au coup par coup ou au travers d'un contrat de "maintenance".

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Avant d'en arriver là, il faudra probablement un certain nombre de mutations:

  • Un changement dans la conception d'un certain nombre d'objets avec un design plus modulaire, peut être moins beau, mais qui assure une meilleure réparabilité et évolutivité de l'objet. Et bien sur l'émergence de normes communes à l'ensemble des acteurs comme il en existe en informatique où vous pouvez assembler une machine à partir de composants issus de multiples fournisseurs.
  • L'émergence d'encyclopédies technologiques sur Internet permettant d'accéder d'une manière simple à des bases de données de plans, de spécifications pour différentes briques de base. Je suis sur que de telles bases existent pour les professionnels mais c'est de leur démocratisation dont je parle.
  • L'apparition de machines de fabrication assez polyvalentes dont les imprimantes 3D sont probablement les premiers avatars. En effet, l'industrie de masse s'appuie sur des machines quasiment faites sur mesures afin d'assurer une production de masse le plus efficacement possible et qui coutent horriblement cher. Les outils de fabrication sont d'ailleurs un des couts importants dans nombre d'industries: cf les presses et machines à mouler pour l'industrie du plastic et automobile, ou encore masqueurs pour la fabrication des puces. Clairement pour un tel modèle déconcentré, il faudra revenir à des outils plus polyvalents... 
  • Enfin, une génération d'entrepreneurs qui se positionneront entre le consommateur final et le producteur de biens en grande série, c'est à dire sur les créneaux de l'adaptation, l'upgrade et la réparation des objets.

Last but not least, il ne faut pas imaginer que tout cela produira un eldorado d'objets à bas cout. In the end, il faudra bien que les gens mangent et se payent l'énergie nécessaire à un confort minimal. C'est comme toujours la limitation sur les ressources physiques de base (énergie, matériaux bruts, aliments, eau) qui déterminera la contrainte économique. Simplement, l'intérêt d'une telle révolution, c'est qu'elle peut permettre d'accéder à un même niveau de confort avec une consommation de ressources naturelles inférieure en augmentant la durabilité des produits.

Cette idée, poussée à l'extrème, est l'idée de troisième révolution industrielle défendue par Jeremy Rifkin qui voit la solution de la crise énergétique dans un système de production totalement déconcentré. Je n'irais pas jusque là car c'est faire fi un peu vite des contraintes physiques qui pèsent sur le stockage de l'énergie...

Mais clairement, la singularité technologique liée aux technologies de l'information pourrait transformer radicalement tout le cycle de vie des biens manufacturés, de la conception au recyclage en passant par la fabrication et les réparations.

Vous me direz que tout cela n'est encore que de la science fiction. Mais l'histoire est riche d'enseignements: l'industrie du transport maritime s'est ainsi transformée en moins d'un quart de siècle grace à la standardisation du contenant. Certe l'invention était retrospectivement simple... mais le conteneur a totalement transformé ce secteur d'activité et permis l'essort des échanges commerciaux que l'on appelle la mondialisation. Et là aussi, les technologies de l'information ont été un pilier du changement en permettant la gestion des flux et l'automatisation des opérations de chargement et déchargement.

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Commentaires
D
Merci beaucoup pour ce commentaire très encourageant! Ca m'a fait vraiment plaisir.... Concernant Fukushima, c'est vrai qu'il y a un aspect que je n'ai pas abordé qui est la question du risques... mais il me faut un peu de temps pour dire quelque chose d'original donc patience. <br /> <br /> <br /> <br /> Sinon oui j'ai un coté contemplatif... mais je ne crois pas qu'on puisse parler de trop plein. Là aussi j'en reparlerai...
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J
Cher Pascal, <br /> <br /> Tout d'abord bonne année 2013. Tous mes voeux de santé, de repas gargantuesques, de séries SF déjantées, de réunions interminables zappées, et de rapports d'activités bâclés .... <br /> <br /> <br /> <br /> Le 28/12/12, certainement à court d'idées - la dinde au marrons devait te rester sur l'estomac ! - tu prenais à partie tes lecteurs : <br /> <br /> "vous êtes vous déjà demandé à quoi pouvait servir ce blog?" "Et vous qui êtes vous?"<br /> <br /> Je voulais profiter de cette occasion pour te remercier de tenir ce blog. Tout simplement. Ton blog ouvre l'esprit. Il est marqué d'optimisme raisonné basé sur une passion, la Science, que certainement tous les lecteurs de ce blog partagent plus ou moins. Il est aussi emprunt d'une grande lucidité, marque d'un esprit critique éclairé, qui se heurte naturellement à la vision de finitude de notre monde. Ne crois pas pour autant que nous lecteurs sommes nécessairement d'accord avec tout ce que tu écris. En ce qui me concerne, je n'ai hélas pas le temps d'écrire quand tu te fais le chantre du nucléaire, bien que ce n'est pas l'envie qui m'en manque (tu t'es montré peu loquace sur Fukushima qui est tout sauf un non-évènement... scientifique, technique, politique, énergétique, etc). <br /> <br /> Ta dernière question est intéressante : "Êtes vous de ceux qui pensent qu'il n'est de salut que dans l'action ou bien faites vous partie de ces contemplatifs qui s'arrêtent pour regarder le monde? ". Je pense que la plupart des gens qui te lisent aimeraient bien être dans l'action, la question qu'ils se posent - que je me pose - c'est comment.<br /> <br /> Et l'on peut te retourner la question, n'es tu pas un contemplatif au fond ? Ce blog ne te sert il pas, comme tout blog, à épancher ce trop de contemplatif ?<br /> <br /> <br /> <br /> Porte toi bien.
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After a year in Boston, entering an happy Apocalypse
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