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After a year in Boston, entering an happy Apocalypse
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2 février 2011

Quels enseignants pour le supérieur en France ?

Dans un commentaire à mon précédent post, mon collègue PK se pose la question du décrochage des enseignants chercheurs français de l'activité de recherche:

"Par contre en France il me semble que c'est beaucoup plus hétérogène. Il y a bien sûr de la recherche excellente faite par d'excellents (enseignants)-chercheurs, mais on trouve aussi souvent, même dans les grandes facs, des enseignants-chercheurs en difficulté. Manque de temps ou de moyens ? Découragement ? Voire niveau du recrutement parfois insuffisament élevé ?"

En premier lieu, je ne me livrerai pas à une comparaison internationale car il faudrait des bases statistiques précises et je ne les ai pas. En fait il y a aussi des professeurs américains qui décrochent de la recherche mais en général il s'investissent alors de manière importante dans le fonctionnement du département et dans l'enseignement ce qui fait que quand on est dans une position de chercheur invité, il est difficile de se rendre compte qu'ils sont là. En tous cas c'était mon impression à Boston... 

Par contre il y a un fait objectif: en France, on demande à un enseignant chercheur de passer beaucoup plus de temps en présence des étudiants qu'aux USA. C'est à peu près le double... S'ajoute à cela dans nombre d'universités une faiblesse des services administratifs et ce temps est encore augmenté par tout un travail de secrétariat qu'il faut bien assurer. 

Lors des EGR, ce qui ressortait de l'ensemble des témoignages et enquêtes qui nous ont été présentés, c'est que la denrée rare c'est le temps.

L'unversitaire français voit trop souvent son temps morcelé et ne dispose parfois plus des plages de temps longues dans lesquelles il peut se consacrer à la recherche. Or en recherche les résultats ne sont pas proportionnels au temps passé: il y a un "effet de seuil". Quand son temps est trop haché, l'universitaire peut se retrouver en dessous du seuil et c'est là que le découragement peut gagner. 

C'est pour cela que la clé pour résoudre ce problème réside dans la gestion du temps. Il faut accepter que l'on ait soit un profil de chercheur enseignant qui ait une charge pédagogique plus légère que les 192h, soit un profil enseignant connecté à la recherche qui se consacre principalement aux missions pédagogiques tout en ayant une démarche de formation continue, voire qui participe à des projets de recherche mais dont il ne faudra pas attendre du tout les mêmes résultats. 

Dans les faits, un certain nombre de collègues sont déjà sur ce second positionnement. Le problème c'est que dans certaines universités, ils se font payer en heures sups ce qui dépasse les 192 heures et cela, ayons le courage de le dire, n'est pas normal. En droit et gestion, c'est même pire: un certain nombre de professeurs, payés à plein temps, ne font plus de recherche mais pantouflent dans des activités de consultance auprès de cabinets d'avocats et autres officines, où ils se font de confortables compléments de revenus. On comprend pourquoi en 2009, les juristes étaient en pointe de la contestation!

Une question importante c'est de savoir combien de gens souhaiteraient au fond pouvoir passer sur ce second positionnement mais ne le font pas pour des raisons de pression sociale. Là j'avoue: je n'en ai aucune idée. Il faudrait vraiment faire une enquête pour sonder celà car c'est cela qui déterminera les marges de manoeuvre. Je suis peut être un peu idéaliste mais je me dis qu'on pourrait, par une politique incitative (promotions?), permettre à quelques centaines (milliers ?) de gens de sortir de cette situation schizophrène. 

Ensuite, que faire si on veut faire bouger les curseurs significativement ? Vu les marges dont on dispose, il n'y a pas 36 solutions: il faudra jouer un peu sur tous les tableaux... Ca veut dire réfléchir à moins morceller les enseignements, et donc pousser plus les étudiants à travailler de manière autonome. Mais cela pose des difficultés dans le cycle L et là, on voit bien qu'au contraire, il faudrait renforcer l'encadrement pour accompagner les étudiants vers l'autonomie. Mais cela nécessite des moyens humains...

Mon intuition, que j'avais appuyé sur des éléments chiffrés, c'est qu'on ne fera pas l'économie d'une réflexion sur la place des enseignants non chercheurs: on a environ 32000 MCF... si on veut décharger de 40 % 80 % d'entre eux (en admettant que 20 % soient prets à se positionner sur une mission principalement pédagogique), on voit que cela représente 10000 charges MCF à trouver

L'arithmétique est donc implacable: bien sur si un certain nombre d'enseignants chercheurs qui actuellement ne font que 192 h décident d'en faire 300, ça aidera. Mais je doute qu'il y ait assez de volontaires pour combler le besoin. En plus se pose le problème de la répartition géographique des besoins... On peut évidemment recruter des enseignants chercheurs mais il en faudrait encore plus que 10000 si on veut que ceux si soient aussi déchargés! Dans le contexte actuel, ca risque d'être très dur voire impossible à obtenir et au mieux de prendre 20 ans ce qui est trop long... et sur le fond, je ne suis pas convaincu que ca soit le mieux.

Donc il faudrait briser le tabou qu'un enseignant dans le supérieur (= après le bac) soit forcément un chercheur et raisonner plutôt sur les besoins en terme d'équipes pédagogiques associant chercheurs enseignants et enseignants... En clair on est amenés à changement de paradigme qui consiste à décliner la dualité enseignement/recherche différemment, au niveau des collectifs et non pas au niveau de chaque individu. Mon expérience des EGR c'est que la communauté scientifique avait refusé cela.

Dans la réalité, le refus n'était pas uniforme: il y avait un schisme générationnel assez net car c'est le CLOEG "Jeunes chercheurs" qui était arrivé à ces conclusions, lesquelles avaient été violemment rejetées par les "anciens", forcément plus nombreux. Ce qui est fait est fait mais je vous incite à lire la version synthétique de cette contribution Jeunes_Chercheurs qui explorait cette piste sans dogmatisme et avec beaucoup d'intelligence.

Pour que ces évolutions marchent, il faudrait évidemment renforcer la cohésion des collectifs. Ce n'est qu'en permettant le développement de séminaires au sein des départements, d'activité de formations continue comme des écoles, que l'on peut avoir des équipes pédagogiques où les membres non chercheurs restent connectés aux avancées de la recherche et où chercheurs et enseignants sont conscients des apports potentiels des uns et des autres. Cela peut aussi passer par le renforcement des sociétés savantes et le développement de publications spécialisées comme en physique l'American Journal of Physics. D'où l'importance de restaurer le collectif et de redonner aux gens du temps pour ces activités collectives.

Mais bon, j'ai comme l'impression qu'on a pris un chemin au moins orthogonal voire opposé à ces idées...

Qu'en pensez vous ?

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Commentaires
P
Je pense en effet que les PRAG sont une mauvaise réponse à un vrai besoin... C'est l'archétype du statut dévalorisé dans le supérieur: ils dépendent de l'inspection générale du secondaire, laquelle se déclare incompétente et ne valorise donc pas leur activité. Et les universitaires les ignorent car ils ne font pas partie d'un corps d'enseignant du supérieur...<br /> <br /> Au niveau du recrutement, je pense qu'il existe un vivier de candidats potentiels:<br /> <br /> - des prags déjà qui ont fait leur preuves dans le supérieur et dont certains seraient je pense prets à rentrer dans une démarche d'intégration plus poussée via des séminaires et des formations continue. Dans la meme veine un certain nombre de jeunes profs de prépas seraient prets aussi à franchir le pas je pense.<br /> <br /> - des jeunes docteurs qui après leur thèse et parfois un postdoc voudraient bien continuer à enseigner à un niveau avancé mais ne veulent pas faire de la recherche... A l'ENS où je travaille, on en produit un nombre certain mais aujourd'hui ils ne trouvent pas de débouché les satisfaisant pleinement. En général ils se rabattent sur les postes en prépa mais certains sont frustrés parce que c'est un cul de sac évolutif... <br /> <br /> Je ne dis pas cela en l'air: c'est vraiment basé sur mon expérience à Lyon. Cette année je bosse d'ailleurs avec un agrégé préparateur qui a donc une charge élevée mais qui participe à des activités comme les séminaires et un groupe de travail. Sa contribution au groupe de travail a été d'ailleurs très utile dans notre programme de recherche (du coup, il est coauteur de 2 papiers dont un de revue et on va rédiger des notes niveau M1 sur le sujet). <br /> <br /> Je pense que de tels postes pourraient être attractifs par trois aspects:<br /> <br /> - l'intégration dans une université et le contact avec la recherche (séminaires, formations continues, intégration dans un département universitaire).<br /> <br /> - la possibilité de mobilité fonctionnelle: une université offre une diversité de filières qui permettraient à ces enseignants de faire des filières type L1 à L3 mais aussi d'intervenir dans des M1 et M2: je pense bien sur aux filières de formation des enseignants mais aussi à certains enseignements en master pro, voire en master plus fondamentaux en collaboration avec des enseignants chercheurs.<br /> <br /> Le point fort de ces enseignants non chercheurs, c'est le temps. Ils peuvent vraiment se lancer dans des projets pédagogiques qui demandent une force motrice à plein temps comme la conception de nouveaux TP, la réalisation de sites Web pédagogique (cf planete terre à l'ENS Lyon) etc... <br /> <br /> Après pour que cela marche, il faut aussi que les universitaires aient envie que cela fonctionne. Ce n'est pas le ministère qui gère la manière dont les collègues vivent au quotidien quand meme... De ce point de vue l'autonomie des universités est peut être une bonne chose: si un département arrive à mener une politique de recrutement intelligente associant enseignants chercheurs et non chercheurs, ca peut être un atout dans l'amélioration des filières. <br /> <br /> Après si à l'opposé les gens restent sur leurs frustration et leur crispation, c'est clair qu'ils ne feront pas du très bon boulot... C'est clair que la politique Pecresse a contribué à renforcer le sentiment de défiance des universitaires. Une des difficultés principales pour un ministre d'alternance sera de restaurer cette confiance sans devenir un "ministre pansement" qui ne dit ni ne fait que ce que la base veut bien entendre... Il faudra innover en montrant l'esprit dans lequel on veut le faire et en mettant ce qu'il faut sur la table. <br /> <br /> Pas facile... c'est le sens des deux citations que j'avais mis à la fin d'un de mes récents posts.
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L
Je pense que la discussion est importante et les propositions sont vraiment intéressantes (y compris le texte de 2004 sur un possible statut d' "enseignant du supérieur"), même si je n'ai pas moi-même d'idée arrêtée sur le sujet. Si je comprends bien, ce job diffère de celui de PRAG par 1) le recrutement, où on apprécierait les personnes ayant fait une thèse, sans avoir nécessairement l'agreg 2) l'obligation de se tenir au courant de se ce qui se fait en recherche.<br /> <br /> Ce sont certainement les détails pratiques qui resteraient à creuser, parce qu'ils jouent pour beaucoup dans la manière dont les personnels ressentent les réformes (dans la transition et en régime permanent).<br /> <br /> Comment faire pour éviter que ces statuts soient "hiérarchisés" : le glorieux vs. le moins glorieux, et, éviter qu'à la sauce sarko, on explique encore que l'enseignement, c'est bon pour les mauvais en recherche.<br /> 1 : dans le recrutement post-thèse : les premiers choix iraient sur des postes d'EC, les seconds choix sur des postes d'ES (sachant que même les seconds choix seraient des bons candidats....) ?<br /> <br /> 2 : les passerelles dans les deux sens : c'est souhaitable, mais comment ne pas retomber dans les travers de la modulation de service à la Pécresse ? (notamment, la crainte de la variable d'ajustement budgétaire).
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P
Ben c'est un des problèmes des primes: elles créent des distorsions de comportement en polarisant les gens sur certaines activités. C'est une des raisons pour lesquelles je pense qu'un meilleur système d'avancement de carrière est préférable à un système de primes...<br /> <br /> Sinon que pensez vous de mes réflexions sur les enseignants du supérieur en France ?
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L
pour ceux qui s'investissent dans la recherche, ont une bonne production scientifique et un encadrement doctoral satisfaisant, mais choisissent de consacrer aussi du temps à l'enseignement (monter de nouveaux cours, inventer des TP) plutôt que courir les comités de programme et les organisation de congrès, difficile d'obtenir une PES. Il est tout à fait possible d'avoir A en production et en encadrement doctoral, C en visibilité et au total ne pas l'avoir.<br /> Je connais des gens qui sont PR1 (après avec été MC-PR2), ont une PES, mais n'ont jamais inventé une séance de TP, à peine s'ils en ont touché. L'art de faire faire...
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P
Sur la contribution des enseignants non chercheurs dans le système français: si on regarde l'ensemble des formations post-bac, ce qui inclue prépas et BTS, alors 55 % des heures statutaires sont effectuées par des enseignants n'ayant pas de mission de recherche.<br /> <br /> Si on regarde universités, écoles et IUT, les PRAGs effectuent 33 % des heures statutaires.<br /> <br /> Donc oui tu as raison: on est déjà dans un système dual. C'est cette réalité que nous avions exposé lors des EGR de 2004 et qui avait soulevé maintes protestations... <br /> <br /> Concernant les heures supplémentaires: quand on parle d'un MCF en milieu de carrière, qui après 5-10 ans, décide de s'investir massivement sur l'enseignement ou la valorisation et y fait du tres bon boulot, effectivement on peut discuter, bien qu'il seraient plus sain de penser à une revalorisation des carrières. Quand il s'agit d'un PR1 qui fait les meme cours depuis 15 ans ou qui arrondit ses fins de mois en pantouflant dans un cabinet d'avocat au lieu de bosser à l'université, je m'interroge... Or ces abus existent.<br /> <br /> Sinon pour les PEDR je crois qu'il y en a 10000 ce qui fait effectivement de l'ordre du 1/7ème...
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