Fusion nucléaire (1/2): la physique de base...
Suite de ma série de posts "Energie: malicieuse est la nature"...
Dans le débat sur l'énergie, une porte de sortie revient très souvent: la fusion nucléaire. Comme plusieurs personnes m'ont demandé d'en parler, je vais tenter une petite synthèse sachant que souvent je vais vous renvoyer sur le Net où se trouvent des pages vraiment bien faites.
La fusion nucléaire, c'est l'énergie qui fait briller les étoiles. Sa mise en évidence date de 1932 au moyen d'expériences de collisions par Max Oliphant. Rapidement dans les années qui suivirent, Hans Bethe décrivit comment les réactions de fusion de l'hydrogène et d'autres noyaux étaient à l'origine de l'énergie des étoiles. Dans le soleil c'est un ensemble de réactions chainées qui aboutit à la transformation de l'hydrogène en hélium alors que dans des étoiles plus massive, la même transformation s'opère par un cycle plus complexe impliquant des noyaux plus lourds qui jouent le rôle de catalyseur (cycle CNO). Cela lui a valu le prix Nobel de physique en 1967. Pour en savoir plus, allez voir ici et, si vous êtes physicien, allez voir son article original.
Pour réaliser la fusion de deux noyaux atomiques, il faut les rapprocher suffisemment pour que les forces nucléaires qui assurent la cohésion du noyau atomique puissent coller tout le monde en un gros noyau. Le hic c'est que ces forces sont à courte portée et que les noyaux sont électriquement chargés. Comme la force électrique est à longue portée (elle décroit en fonction du carré de la distance), il faut donc "vaincre" cette barrière électrique pour réaliser la fusion.
La Nature nous aide déjà beaucoup car grace à un effet quantique (l'effet tunnel), il suffit d'approcher deux protons à distance d'environ 100 fois leur taille pour que la fusion puisse se produire. C'est beaucoup plus que la portée des interactions fortes (environ 10 fois la portée...). Mais cela reste néanmoins difficile.
Vous aurez peut être deviné que plus les noyaux sont électriquement chargés, plus cela va être difficile. L'élément chimique le plus facile à faire fusionner est donc l'hydrogène qui a un proton dans son noyau (et zéro, un ou deux neutrons).
Pour forcer les noyaux à se rapprocher, il faut les faire se cogner à grande vitesse ce qui se fait en chauffant. Dans ces histoires de réactions nucléaires, on exprime l'efficacité de la réaction par un taux de réaction qui est ici représenté en fonction de la température:
Pour saisir ce que dit ce graphe, il faut avoir à l'esprit les choses suivantes:
1. Il y a trois isotopes de l'hydrogène qui sont l'hydrogène simple (1 proton), le deutérium (1 proton et un neutron), et le tritium (un proton et deux neutrons). Le graphe donne les taux de réactions des rédactions de fusion deutérium/tritium (D-T), deutérium/deutérium (D-D) et enfin entre le deutérium et l'isotope le plus léger de l'Hélium.
Les réactions qui sont là sont "rapides", c'est à dire qu'une fois les noyaux rapprochés, ils fusionnent grace à l'interaction forte et c'est tout. Par contre, la première réaction de la chaine qui alimente le Soleil est:
1 1H |
+ | 1 1H |
→ | 2 1D |
+ | e+ |
+ | ν e |
+ | 0.42 MeV |
Cette réaction comprend en fait une étape de désintégration radioactive d'un proton se transformant en un neutron, un anti-électron et un neutrino. Cela entraine en fait que la probabilité de cette réaction est considérablement plus basse que celle des réactions "rapides": par 25 ordres de grandeur! C'est d'ailleurs pour cette raison que le Soleil brille depuis aussi longtemps et brillera encore longtemps... (pour en savoir plus, lisez le document suivant)...
2. La température est donnée en deux unités: en bas en milliards de degrès Kelvin et en haut en énergie. L'unité utilisée est le millier d'électron-Volt: c'est l'énergie acquise par un noyau d'hydrogène (quelque soit l'isotope) accéléré par une différence de potentiel de 1000 Volt. Pour mémoire l'énergie caractéristique des réactions chimiques est de quelques électrons Volt par molécule. Notez que l'échelle du graphe est logarithmique: d'une graduation à la suivante on augmente la température d'un facteur 10!
3. Pour obtenir le nombre de réactions de fusion par seconde dans un volume d'un metre cube, il faut multiplier le nombre par le nombre de chacun des noyaux présents dans le mètre cube en question. Là aussi l'échelle est logarithmique ce qui veut dire un facteur un million entre la plus petite et la plus grande valeur!
Concrètement cette courbe montre qualitativement deux choses: la première c'est que la réaction D-T est beaucoup plus facile que les autres (100 x plus que la réaction D-D). Et ça ce n'est déjà pas une bonne nouvelle car le tritium est instable avec une demi vie de 11 ans et il va donc falloir le fabriquer... La seconde c'est qu'il faut essayer de se placer à l'optimum de température pour cette réaction sous peine de perdre en taux de réactions: ca veut dire environ plus de 100 millions de degrés.
A ce niveau il est intéressant de considérer ce qui se passe dans le soleil. Le coeur où se déroulent les réactions est à environ 15 millions de degrés et il a un rayon de 20 % du Soleil (150000 km environ). Sa densité est d'environ 160 kgs par litre (160 fois celle de l'eau!) du fait de l'énorme pression qui y regne. Le Soleil émet environ 3 fois 10 puissance 26 Watts (une centrale nucléaire fait typiquement 10 puissance 9 Watts).
Maintenant si vous estimez la puissance par unité de volume au centre du Soleil, vous allez trouver de l'ordre de 0,3 Watts par litre! A comparer au moteur de ma kakoumobile: 82000 Watts pour une cylindrée de 1,6 litres... ou à votre propre métabolisme de base (100 Watts pour 70 litres). Bref, la production d'énergie par unité de volume dans le Soleil est ridiculement faible me direz vous ? Ben oui mais le volume est colossal et donc la puissance totale aussi...
Une remarque au passage: cela peut sembler ridiculement faible sachant que les réactions de fusion libèrent une énergie prés d'un million de fois supérieur à celles libérées par la chimie et qu'en plus le coeur du soleil est 160 fois plus dense que l'eau. L'explication du paradoxe vient tout simplement du très faible taux de réaction de fusion de deux protons (voir plus haut).
En résumé, le Soleil prend son temps pour bruler de l'hydrogène (heureusement pour nous) mais comme il est énorme, ça chauffe quand même beaucoup!
A l'opposé, l'Homme sait provoquer des réactions de fusion à une échelle humaine mais ca ne dure vraiment pas longtemps. C'est ce qui se passe dans les bombes thermonucléaires où quelques kilos de matériau fusible sont comprimés d'un facteur mille et fusionnent en quelques dizaines de nanosecondes (au plus). La puissance émise est alors considérable (jusqu'à 10 puissance 24 Watts) dans un volume très petit. Pour comprimer le combustible à fusionner, on utilise tout simplement une bombe nucléaire à fission: c'est le schéma de Teller-Ulam qui permet de générer des pressions de milliards de fois la pression atmosphérique en utilisant astucieusement une quantité d'énergie par ailleurs suffisante pour détruire une ville moyenne...
Ni l'une ni l'autre de ces méthodes ne semblent pratiques pour générer de l'énergie de fusion sur Terre... Dans un prochain post, je parlerai donc de la méthode envisagée pour réaliser un réacteur à fusion sur Terre. On veut évidemment une source d'énergie qui marche en continu comme le soleil mais qui ne soit pas une bombe.
Vu les conditions à réunir en termes de température, vous aurez compris une chose: ce n'est pas simple...
A suivre...