21 décembre 2008
...à l'hyper-empire.
Comme je le disais dans mon précédent post, le fait que le consumérisme et l'individualisme aient pénétré en profondeur nos sociétés rend la tache des partis dits progressistes particulièrement difficile.
Mais je n'invente rien. Tocqueville avait lui même souligné les problèmes que poseraient le développement de l'individualisme à toute démocratie [De la démocratie en Amérique, Tome II, 2ème partie, chap. III]:
"Chez les peuples démocratiques, de nouvelles familles sortent sans cesse du néant, d'autres y retombent sans cesse, et toutes celles qui demeurent changent de face ; la trame des temps se rompt à tout moment, et le vestige des générations s'efface. On oublie aisément ceux qui vous ont précédé, et l'on n'a aucune idée de ceux qui vous suivront. Les plus proches seuls intéressent. Chaque classe venant à se rapprocher des autres et à s'y mêler, ses membres deviennent indifférents et comme étrangers entre eux. L'aristocratie avait fait de tous les citoyens une longue chaîne qui remontait du paysan au roi ; la démocratie brise la chaîne et met chaque anneau à part. A mesure que les conditions s'égalisent, il se rencontre un plus grand nombre d'individus qui, n'étant plus assez riches ni assez puissants pour exercer une grande influence sur le sort de leurs semblables, ont acquis cependant ou ont conservé assez de lumières et de biens pour pouvoir se suffire à eux-mêmes. Ceux-là ne doivent rien à personne, ils s'habituent à se considérer toujours isolément, ils se figurent volontiers que leur destinée tout entière est entre leurs mains. Ainsi, non seulement la démocratie fait oublier à chaque homme ses aïeux, mais elle lui cache ses descendants et le sépare de ses contemporains ; elle le ramène sans cesse vers lui seul et menace de le renfermer enfin tout entier dans la solitude de son propre cœur."Se contenter de ce constat n'explicite cependant pas le lien de causalité. Les démocraties occidentales (Europe et Amérique du Nord) se sont construites par rupture avec des modèles de société fondés sur un ordre aristocratique souvent hérité d'une histoire militaire ou un ordre religieux. En fait, les deux pouvant allègrement se combiner comme dans les monarchies absolues de droit divin ou cher les princes évèques allemands ou bélges. Pour Attali, l'émergence des démocraties dans notre monde occidental s'inscrit en fait dans l'émancipation vis à vis des ordres militaires et religieux. Même s'il développe des points intéressants et originaux, Attali n'est pas très différent de Tocqueville ou Adams Smith lorsqu'il pointe le désir d'émancipation individuel comme principal moteur de l'Histoire. Même Tocqueville en comparant l'immobilité des populations dans une société aristocratique par rapport à la mobilité dans une démocratie n'est pas loin de souligner l'importance du nomadisme cher à Attali. A la lumière de ces réflexions, les révolutions conservatrices dont j'ai parlé dans mon précédent post ne sont donc qu'une manifestation d'une tendance historique déjà ancienne. Rien de bien neuf sous le soleil en apparence donc... mais il se trouve que la période que nous vivons actuellement présente quelques spécificités. En premier lieu, dans les pays d'Europe occidentale ou aux Etats-Unis, les démcraties sont déjà constituées depuis un à deux siècle. Même si une grande pauvreté y existe, ce sont des sociétés opulentes au sens où même les personnes modestes ont un confort et un train de vie supérieur à celui des nobles sous Louis XIV. Nous ne sommes donc plus dans les affres de la construction de la démocratie mais dans une véritable évolution des sociétés démocratiques. Or en France au moins, la gauche historique s'est construite sur une opposition aux forces légitimistes puis bonapartistes représentatives de la défense des ordres anciens (religieux et militaires). Ce face à face qui a duré depuis le 19ème siècle jusqu'aux années 70-80 vient de disparaitre. Sarkozy n'est pas le défenseur des vieilles hiérarchies héritées de la France du 19ème. Comme Napoléon III, il est le défenseur de l'ordre marchand dans lequel les hiérarchies sont les résultat de la compétiion économique entre individu. Et ce faisant, il caresse dans le sens du poil les aspirations individualistes qui traversent toute la société. Si on regarde de plus près les impulsions données par Sarkozy comme travailler plus pour gagner plus, l'encouragement à ne faire que travailler et consommer, du plan de relance fait uniquement pour faire tourner nos usines de voitures et construire du batiment, du dévérouillage de toutes les limites au workoholisme (décalage de l'age limite pour prendre sa retraite, heures sups, primes), de la surveillance du Net pour y préserver les intérêts commerciaux (loi Hadopi), on ne peut que se rappeler de ce qu'écrit Attali sur l'évolution de nos sociétés vers un hyper-empire marchand:
Tout temps passé à autre chose que consommer - ou accumuler des objets à consommer de manière différée - sera considéré comme perdu ; on en viendra à dissoudre les sièges sociaux, les usines, les ateliers pour que les gens puissent consommer depuis chez eux tout en travaillant, en jouant, en s'informant, en apprenant, en se surveillant ; l'âge limite de la retraite disparaîtra.Par sa combinaison d'un modèle de société basé sur une juxtaposition d'ambitions individuelles et sa communication très particulière, Sarkozy apparait en fait comme un promoteur d'une société dominée par l'ordre marchand et non pas comme le leader d'un courant conservateur classique comme l'étaient Chirac (à ses ambiguités près), Giscard (malgrès son ouverture à certaines évolutions sociétales), Pompidou (le dernier président pré-soixante huitard) et De Gaulle. La difficulté pour la gauche historique va donc être de prendre acte d'une part de cette mutation de la société - le monde a tourné - et d'autre part de la rupture que constitue Sarkozy. Deux points sur lesquels aucun des partis de la gauche historique n'a clairement pris parole et appelé un chat un chat. Je crois que c'est ça le drame: en face des partisans de la société de compétition, on trouve une mosaique qui n'a même pas compris et encore moins acté collectivement que nous étions déjà dans une nouvelle ère. Nous avons une non-opposition qui a un train de retard, un théatre sinistre qui rejoue les même partitions en parallèle: à droite petites querelles entre courants au PS, à gauche l'attente perpetuelle du grand soir qui ne viendra jamais et au milieu, l'agonie du PCF et le ronron désordonné des verts. A suivre... A lire: une très bonne synthèse du bouquin Une brève histoire de l'avenir... si vous n'avez pas déjà lu ce livre bien sur.
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